Le déluge

Il ne pleut pas souvent, en Floride. Du moins, pas l’hiver. Et quand il pleut, c’est rarement pour longtemps. On a parfois droit à une petite ondée tôt le matin ou en fin d’après-midi. C’est un nuage qui passe. Évidemment, il y a la saison des ouragans pendant laquelle les orages se font violents et les pluies abondantes. Mais de novembre à mai, il est rare qu’on ait à ouvrir un parapluie.

 

Depuis 2017, outre pendant la pandémie, Chéri et moi avons passé nos hivers en Floride. Au fil des années, nous avons toutefois pu constater que la nature est de plus en plus imprévisible là-bas aussi. Et en avril 2023, nous avons goûté à ses caprices.

 

À partir du lundi de Pâques, il a plu, mais vraiment plu, pendant trois jours consécutifs. Rien d’alarmant, mais des averses constantes nous enlevaient l’envie d’aller jouer dehors.

 

Le mercredi matin, je décide de sortir faire quelques emplettes à l’épicerie. Il pleut, mais j’ai déjà vu pires conditions au Québec. Et puis, il faut bien manger! J’ose affronter l’averse, sans conséquence fâcheuse.

Mais alors que je suis sur le chemin du retour, des alertes de tornades font vibrer mon téléphone cellulaire. Ouf, je suis sortie au bon moment! Il est temps de rester tranquille à la maison.

 

Finalement, fausse alerte, il n’y a pas de tornade. Vers 15 heures, l’avertissement est retiré, à notre grand soulagement, puisque Chéri et moi avons un rendez-vous important à 17 heures. Il pleut toujours, mais rien d’effrayant. En plus, nous n’avons qu’une distance de six kilomètres à parcourir. Nous partons vers 16h30.

 

Sur la route A1A qui longe à la fois la mer et l’Intercoastal, la circulation est fluide. Chéri conduit prudemment, nous roulons lentement, les essuie-glaces au maximum, évitant les grosses flaques d’eau. Tout se passe bien.

Mais, alors que nous sommes à moins d’un kilomètre de notre destination, tout d’un coup, le ciel nous tombe sur la tête.

 

En une fraction de seconde, c’est le déluge! Nous avons l’impression de passer sous les chutes Niagara. On n’y voit absolument rien, les essuie-glaces ne fournissent pas, toutes les autos activent leurs clignotants d’urgence et s’arrêtent. Nous faisons de même. Toutefois, en voulant se garer sur le bord du trottoir, Chéri constate qu’il y a un problème : le moteur de notre auto a calé.

 

Il tente de redémarrer, en vain. Comme la visibilité est nulle, impossible de savoir si nous sommes au beau milieu de la route ou dans le fossé. J’ose ouvrir ma portière pour vérifier notre position. Horreur! La route est inondée, on ne voit plus les trottoirs et l’eau arrive à quelques millimètres du bas de ma portière. Je me risque à sortir pour voir si le tuyau d’échappement est sous l’eau. Je constate que non, mais il n’en faut que peu pour qu’il soit immergé. J’ai de l’eau jusqu’aux genoux, la pluie me tombe sur la tête à grandes chaudières, mais j’ai le temps de remarquer que plusieurs autres véhicules autour de nous sont dans la même situation : ils sont aussi en panne.

 

Mon excursion a duré tout au plus dix secondes, mais lorsque je retourne m’asseoir dans l’auto, je suis complètement détrempée, de l’imperméable jusqu’aux os.Un peu inconfortable, disons-le, mais au moins, je n’ai pas froid. Les rares véhicules qui réussissent à circuler sur la A1A sont de gros camions et quand ils passent près de nous, ils génèrent des vagues qui font valser mon auto, comme une chaloupe. Mon cellulaire vibre : avertissement de pluies diluviennes et risque d’inondation. Sans blague! Votre message d’alerte arrive juste un peu trop tard, les amis!

 

J’appelle pour annuler notre rendez-vous en expliquant notre situation. Mon interlocuteur sympathise avec moi, me souhaite bonne chance et me fout la trouille en me disant : « J’espère que votre auto ne sera pas perte totale! » Quoi?!?

 

J’essaie de joindre une compagnie de remorquage. Pas de réponse! J’en appelle une autre : boîte vocale pleine! Je fais des douzaines d’appels, mais évidemment, comme nous ne sommes pas les seuls dans la même situation, tous les garagistes, de West Palm Beach à Miami, sont débordés. Nous craignons que l’habitacle de l’auto soit inondé d’un moment à l’autre, mais l’intensité de la pluie diminue et sommes heureux d’observer que le niveau de l’eau est à la baisse. Sauvés!

 

Une heure plus tard, je réussis à contacter un service de remorquage qui me promet de venir à notre rescousse avant 22 heures. Il faut prendre notre mal en patience, mais nous reprenons espoir. De plus, la pluie a cessé et nous voyons la route émerger. C’est bon signe!

 

À 23 heures, nous sommes encore là, à attendre. La remorqueuse promise ne s’est jamais pointée. Nous en apercevons une qui arrive sur la A1A avec une auto sur sa plateforme. Elle s’arrête à notre hauteur. Le garagiste me remet sa carte professionnelle et me jure qu’il va revenir nous chercher d’ici une heure du matin. Bon… Avons-nous le choix?

 

C’est une belle nuit, la lune et les étoiles brillent dans le ciel et il fait 25 degrés; Chéri et moi en profitons pour nous promener autour, en attendant. Tout est calme, il n’y a plus de circulation et la plupart des conducteurs en panne ont abandonné leur véhicule. Nous avons faim – le dernier repas remonte à 13 heures plus tôt – mais, nous nous consolons en ayant une pensée pour les gens qui tombent en panne sur les routes du Québec l’hiver, à des températures glaciales ou dans des tempêtes de neige. Au moins, nous ne mourrons pas de froid! Mon téléphone a besoin d’être rechargé. Heureusement, il y a une guérite à l’entrée d’un complexe de condos non loin, où un garde de sécurité accepte de brancher mon cellulaire.

 

À deux heures du matin, j’appelle le garagiste qui n’est toujours pas revenu. Il me répond qu’il est en route. À trois heures, je le rappelle. Puis encore et encore. Pas de réponse. Finalement à 4h30, il m’envoie un texto : il est parti se coucher, trop épuisé pour revenir nous chercher!

 

Finalement, à 5 heures du matin, une remorqueuse file sur la route. Nous sautons littéralement devant, en gesticulant, pour qu’elle s’arrête. Les deux trentenaires à l’intérieur ont travaillé toute la nuit et sont épuisés, mais puisque le centre de service du concessionnaire BMW est sur leur route, ils acceptent de remorquer mon auto, moyennant la coquette somme de 200 dollars... cash. Chéri et moi fouillons dans toutes nos poches et à deux, nous réussissons à réunir la somme exigée. C’est un miracle, puisque je paie à peu près tout par carte et que j’ai rarement de l’argent comptant sur moi. Il faut croire qu’un ange bienveillant m’avait donné l’idée d’arrêter au guichet automatique la veille!

 

Et c’est ainsi que, plus de douze heures plus tard, nous avons pu prendre un taxi pour rentrer, manger et dormir un peu…

 

Il restait à savoir si mon auto pouvait être réchappée.

 

J’ai appelé ma compagnie d’assurance qui m’a expliqué la marche à suivre pour les réparations et la réclamation. Selon les termes de ma police, les frais de location d’une auto étaient couverts : je suis donc allée sur le site Internet de Budget et j’ai fait une réservation pour une berline. Ensuite, j’ai appelé le centre de service où mon auto avait été remorquée et Miguel, le technicien en charge de mon dossier, a pris toutes les informations nécessaires et a promis de me tenir au courant.

 

Dans l’après-midi, j’ai marché jusqu’au centre Budget près de notre condo pour aller chercher mon auto de location. Oh surprise : il y avait une file à n’en plus finir. De toute évidence, nous n’étions pas les seuls qui avaient vu leur auto prendre l’eau! En plus, comme l’aéroport de Fort Lauderdale avait aussi été inondé, la plupart des autos des compagnies de location étaient hors service. Heureusement, parce que j’avais fait une réservation en ligne, j’ai eu priorité. Comme quoi, être «techno» peut être utile! J’ai mis la main sur un petit SUV.

 

Le vendredi, nous sommes allés chez BMW pour avoir des nouvelles de mon bolide. C’est en nous y rendant que nous avons constaté l’ampleur de la catastrophe : deux jours plus tard, les dépanneuses étaient toujours à l’œuvre pour dégager les rues. Des centaines d’autos en panne avaient été abandonnées, partout le long des routes.

 

Au centre de service, Miguel m’a expliqué qu’ils allaient inspecter mon auto, changer l’huile, les bougies, le filtre à air, assécher certaines pièces… « Si elle ne démarre pas après cela, ce ne sera pas de bon augure. » Mais il me rassure : puisque l’habitacle et le moteur n’ont pas été complètement submergés, il y a de l’espoir. Le hic, c’est que le centre de service a également été inondé, leurs équipements ont pris l’eau et doivent être remis en état avant qu’ils puissent commencer à opérer. Mon auto ne pourra pas être prise en charge avant lundi, au plus tôt. Je sens mon niveau de stress augmenter d’une coche. Je lui explique qu’il y a une question importante de délai : je suis en fin de séjour, mon billet d’avion pour Montréal est acheté et le transport de mon auto pour le Québec doit avoir lieu dans dix jours… Il me promet que je serai fixée dès le début de la semaine suivante.

 

Finalement, mon auto a été inspectée, des réparations mineures ont été effectuées et alléluia, elle a démarré sans problème! J’ai pu la récupérer le mardi matin. Je dois dire que j’ai été impressionnée par la qualité et l’efficacité du service à la clientèle du centre de service et j’ai remercié Miguel en français, en anglais et en espagnol, ce qui l’a bien fait rire!

 

Les floridiens ne se rappelaient pas avoir déjà vu pareille tempête. Il paraît que avons vécu un moment historique! C’est le type d’aventure dont nous aurions nous passer, mais en rétrospective, dans notre malchance, nous avons été très chanceux. Nous aurions pu tomber en panne dans un quartier malfamé et dangereux, ou dans un coin de la Floride où les alligators et les serpents nous auraient tenus compagnie… Mon auto aurait pu être complètement submergée et déclarée perte totale. Nous aurions pu devoir attendre une dizaine de jours avant que mon auto soit enfin remorquée, et encore dix autres pour qu’elle soit réparée. Nous aurions pu ne pas réussir à mettre la main sur une auto de location. La compagnie d’assurance aurait pu contester certaines réparations. Mais finalement, tout s’est bien terminé.

 

Nous avons toutefois appris une leçon fort importante : en Floride, il ne pleut pas souvent. Mais quand il pleut, il faut rester chez soi!

Un alligator à l'affût, bien immobile, dans le parc des Everglades.

Un alligator à l'affût, bien immobile, dans le parc des Everglades.

Chasse aux reptiles

Quand on vit dans une région au climat subtropical, il faut s’attendre à côtoyer une faune différente qu’au Québec.

J’adore et je respecte les animaux, du plus domestiqué au plus dangereux. J’avoue cependant que j’ai une aversion particulière pour la plupart des reptiles. Je les trouve généralement laids et sournois. Je les respecte, mais autant que possible, je les évite.

La Floride a été bâtie sur des terrains humides. Les marécages couvrent encore aujourd’hui plus de 40,000 kilomètres carrés du territoire floridien et cela même si certains ont été asséchés par l’homme par la construction de canaux. C’est l’endroit propice pour y voir plusieurs espèces de reptiles. On retrouve la majorité dans les Everglades, cette réserve naturelle protégée. Mais comme il n’y a pas de clôture autour des marais, des reptiles s’aventurent souvent près des villes et de leurs habitants. 

Certains sont inoffensifs, comme les lézards. On les voit souvent tôt le matin ou en fin de journée, cherchant à se réchauffer au soleil. Ils fuient se cacher dans la végétation dès qu’ils perçoivent le moindre mouvement. Il y aussi une grande variété de tortues, mais on ne les voit pratiquement jamais. On sait que les tortues marines pondent leurs œufs sur les plages pendant les nuits de juin et juillet et des excursions nocturnes sont organisées pour ceux qui veulent les observer. Je préfère les laisser pondre tranquille et profiter de la nuit pour dormir…

D’autres espèces sont de véritables pestes. L’an dernier, alors que je lisais tranquillement à l’ombre de mon parasol sur le bord de la piscine, un iguane m’a frôlé le pied. Il avait élu domicile dans les arbustes autour. Les iguanes prolifèrent en Floride et sont considérés comme un véritable fléau. Peu farouches, ils se pavanent au soleil pour ensuite grimper agilement dans les arbres ou courir à folle vitesse sur les quais et les patios. Ils peuvent ravager un jardin, dévorant sans gêne plantes et fleurs, souiller parterres et piscines, se cacher dans les murets et les égouts. L’hiver, s’il fait le moindrement frisquet, ils tombent des arbres, gelés : gare à votre tête ou au pare-brise de votre auto !

Évidemment, le plus connu et redouté des reptiles floridiens est sans conteste l’alligator. Grand maître des marais, on peut aller l’observer de près en faisant un tour dans les Everglades, ce que j’ai fait cet hiver.  Mais il n’est pas rare que les golfeurs les côtoient sur les verts ou que des résidents en trouvent un dans leur cour ou même leur piscine. À bord d’un hydroglisseur, je suis allée explorer le repère de cet extraordinaire prédateur. Notre guide, José, nous a donné une foule d’informations sur le redoutable alligator. Autrefois en voie de disparition à cause de la chasse – sa peau et sa chair sont fort prisées -  l’alligator est une espèce protégée et par conséquent, sa population est en croissance. Toutefois, la Floride émet chaque automne quelque 5000 permis pour les amateurs de chasse. Chaque détenteur peut tuer un maximum de deux alligators. 

Qu’est-ce qui rend l’alligator si redoutable ? Il peut rester totalement immobile pendant des heures, se camoufler, sans problème, dans la nature. S’il décide d’attaquer, il le fait à une vitesse effroyable. Excellent nageur, il entraîne sa victime sous l’eau. Vous croyez être à l’abri parce que vous êtes sur la terre ferme? Prenez garde, il peut aussi courir étonnamment vite ! On dit que la force de sa mâchoire ne pardonne pas et qu’il peut vous assommer d’un coup de queue. Il n’y a qu’un moyen d’éviter les attaques : se tenir loin des alligators, et éviter de se promener à pied, particulièrement le soir et la nuit, près des endroits marécageux, des canaux et des lacs. Chaque année, on entend parler d’animaux de compagnie qui ont disparus… Et les attaques sur les humains sont de plus en plus fréquentes. 

Le crocodile a aussi établi domicile dans les Everglades au sud de la Floride. Beaucoup plus long que son cousin l’alligator, on le reconnaît par sa couleur plus claire et par son museau effilé. Il s’acclimate autant à l’eau salée qu’à l’eau douce. Il est plus aussi plus agressif et n’hésitera pas à attaquer en sautant dans les embarcations. On m’a raconté qu’un certain matin d’été 2018, un crocodile a créé tout un émoi en nageant sur le bord de la plage de Hollywood. Si on peut s’attendre, à l’occasion, de voir des requins rôder, il est plutôt inusité de voir un crocodile dans la mer sur la côte est. Il s’était probablement égaré. Heureusement, personne n’a été blessé. Le service de la faune s’est rendu sur place et les baigneurs ont dû se tenir loin derrière un cordon de sécurité, le temps qu’on fasse la capture de l’imposant reptile pour le ramener dans les marais. 

Il existe évidemment plusieurs espèces de serpents en Floride, mais peu sont venimeux. La plupart vivent dans les zones marécageuses et voudront s’enfuir lorsqu’un humain s’approchera. J’avoue que je ne prendrais pas de chance : je préfère ne pas les voir, car je déteste les serpents plus que tout. Mais depuis une quarantaine d’années, des espèces exotiques de serpents font des ravages dans les Everglades. Les boas et pythons birmans ne sont pas natifs de la Floride. Ils ont malheureusement été introduits dans les marais au cours des années 1980 par des gens qui voulaient se débarrasser de leur serpent de compagnie. En effet, comme certains se défont de leur lapin ou de leur chat en le laissant courir dans la nature, des irresponsables ont fait de même, en se rendant compte qu’il n’est pas simple de s’occuper d’un reptile en captivité. Comme ils n’ont aucun prédateur et que le climat floridien leur convient très bien, ces énormes serpents se sont reproduits à un rythme incroyable et menacent aujourd’hui l’équilibre de la faune des Everglades. On offre d’ailleurs une récompense à toute personne qui en tue un. Plus le serpent est long, plus il rapporte. Une femelle tuée est aussi plus payante qu’un mâle. Notre guide José nous a avoué en avoir tué quelques uns. Le dernier lui avait rapporté 500$. Mais on dit que le combat contre ces indésirables est loin d’être gagné. Bien des oiseaux et des mammifères risquent hélas de disparaître des marais à cause de ces affreux reptiles importés. 

Bref, cette visite en hydroglisseur fut à la fois enlevante et fascinante. Les Everglades ont longtemps fait partie de mon imaginaire, depuis, en fait, que j’étais toute petite et que je regardais les épisodes de Mon ami Benà la télévision. J’étais donc bien contente de les explorer. Les reptiles qui les habitent ne sont toutefois pas imaginaires et je ne les aime pas davantage. Mais comme les marais et les cours d’eau de Floride sont leur habitat, leur chez-eux, il faut apprendre à les respecter, et se faire à l’idée qu’il se peut qu’on trouve un affreux reptile sur son chemin.

La visite d'un iguane sur le bord de la piscine

La visite d'un iguane sur le bord de la piscine

La clinique

On ne souhaite surtout pas être malade quand on est loin de chez soi. Ou d’avoir un accident et d’être blessé. Mais on sait que ça peut arriver et c’est pourquoi on prend des assurances. Au cas où. En voyage, c’est la seule chose qu'on paie et qu’on espère ne jamais avoir à utiliser.

À moins d’une semaine de notre retour au Québec, Chéri se plaint qu’il a mal à un doigt. J’examine son majeur de la main droite, oui, le fameux doigt d’honneur, et je constate qu’il est rouge et enflé. Je ne suis pas médecin, mais je sais reconnaître un panaris quand j’en vois un. 

Chéri, n’étant pas un fanatique des médecins, décide qu’il ne consultera pas. Il se croit capable de combattre l’infection. Je ne l’obstine pas trop, c’est son doigt et c’est lui qui supporte la douleur. Mais deux jours plus tard, le doigt a pris des proportions et une couleur inquiétantes. Chéri accepte que je le traîne jusqu’à la pharmacie. La pharmacienne est catégorique. Aucun onguent, ni remède miracle ne pourra guérir le doigt de Chéri. Au stade où en est l’infection, il faut aller voir un médecin. 

J’appelle donc notre assureur pour expliquer la situation et savoir quelles sont les étapes à suivre. L’agent m’informe qu’il nous réfère à la clinique la plus près : le CLSC de Hallandale. 

Euh, pardon ? Le CLSC ? 

Hé oui, imaginez-vous, après les caisses Desjardins, les poutines et les guedilles, voilà qu’on trouve aussi un CLSC en Floride ! On nous dit qu’il faut apporter notre carte Soleil, une pièce d’identité et notre numéro de contrat d’assurance privée. Nous allons donc expérimenter le système de santé aux États-Unis. Une nouvelle aventure !

Après un trajet de dix minutes, nous entrons dans la clinique. Ouf, il y a pas mal de monde! J’ai bien l’impression que nous allons passer notre après-midi au CLSC… Mais à ma grande surprise, les patients sont appelés rapidement. On ouvre le dossier de Chéri et moins de vingt minutes plus tard, une infirmière l’appelle aussi, mais en français.  C’est une québécoise. Le médecin est d’origine haïtienne et parle aussi français. Le blessé n’est pas trop dépaysé et il se sent assez brave pour aller seul dans la salle d’examen !

Moi, pendant ce temps, je m’assieds dans la salle d’attente. Une télévision au mur est allumée à la station CNN. Bon, on parle du Président, c’est sûr, mais au moins, je me divertis Après tout, il peut être incroyablement comique, ce Président ! 

Et voilà que quelques minutes plus tard, Chéri me rejoint, un peu pâle, mais bien vivant, avec le majeur enrubanné dans un pansement tout blanc. On lui a gelé le doigt pour lui faire une petite intervention, histoire de faire sortir le «méchant». Il doit revenir à la clinique lundi prochain pour un suivi. L’expédition au CLSC d’Hallendale n’a pas duré une heure. Sur le chemin du retour, nous arrêtons chez Walgreen, le pendant des Jean-Coutu en Floride, car Chéri doit prendre  des antibiotiques et recevoir une piqûre contre le tétanos. On va le réchapper !

Entre vendredi et lundi, le CLSC d’Hallendale nous a envoyé des courriels quotidiennement pour nous rappeler que Chéri avait rendez-vous à 10 heures. Efficace, vous dites ? Et comment ! Pas question d’oublier ! Lundi, donc, on l’attendait. Pas d’attente. Le médecin a confirmé que le doigt était en voie de guérison. 

Non, ce n’est pas drôle être malade. Mais c’est moins pire quand le système de santé qui nous traite n’est pas malade. L’expérience de Chéri n’a vraiment pas été traumatisante. Il va revenir au Québec en santé et dans un seul morceau, avec tous ses doigts !

Young Circle, un des carrefours giratoires de la ville, nommé ainsi en l'honneur du fondateur d'Hollywood, héberge un parc en plein centre.

Young Circle, un des carrefours giratoires de la ville, nommé ainsi en l'honneur du fondateur d'Hollywood, héberge un parc en plein centre.

Hollywood by the Sea

La maison de Joseph W. Young sur Hollywood Boulevard.

La maison de Joseph W. Young sur Hollywood Boulevard.

Blottie entre Fort Lauderdale et Miami, longeant l’océan Atlantique, la ville floridienne de Hollywood attire les touristes depuis des décennies.

Elle a été fondée en 1925 par un certain Joseph Young, un promoteur immobilier californien, qui rêvait d’en faire une colonie digne d’un décor de cinéma sur la côte est des États-Unis, d’où le nom Hollywood by the Sea. Monsieur Young s’est préoccupé de bien planifier le développement urbain de son paradis tropical. En plein centre de la ville, il avait décidé qu’un boulevard principal, Hollywood boulevard, s’étendrait de la mer jusqu’à la limite des Everglades et comprendrait trois grands carrefours giratoires.  Il avait également prévu la préservation des espaces verts et des plages, ce qui était plutôt rare à l’époque. Monsieur Young a été le premier maire de la ville, s’assurant ainsi que sa vision serait respectée. Il s’est établi dans une magnifique villa de style méditerranéen qu’il a fait construire et qu’il a habité avec son épouse jusqu’à sa mort. On peut d’ailleurs encore voir la splendide propriété, qui a été restaurée et classée monument historique, au coin du boulevard Hollywood et de la 11 avenue.

Aujourd’hui, la ville d’Hollywood compte une soixantaine de parcs, des terrains de golf, de larges boulevards bordés d’une végétation luxuriante, des lacs qui mènent à l’Intercoastal Waterway et une superbe plage qui s’étend sur des kilomètres.

La ville a connu un essor fantastique dans les années 1960 et 1970. Aujourd’hui, elle est le lieu de résidence de quelque 150,000 personnes. Mais la ville est littéralement prise d’assaut par des milliers de touristes chaque année. Ils viennent de partout, mais surtout du Québec, pour fuir un hiver rigide et profiter du paradis qu’a construit Monsieur Young. On y entend parler français presqu’autant que l’anglais et il n’est pas surprenant de trouver guedilles et poutines sur le menu des casse-croûtes.

Hollywood a son centre-ville avec ses commerces et ses petits restaurants sympathiques. On y trouve également des musées et des centres d’interprétation. Mais c’est avant tout son Broadwalk qui fait sa renommée.

La plupart des gens le nomment injustement le Boardwalk. Mais il n’a jamais été fait de planches de bois et il ne s’avance pas dans la mer comme bien des quais. Son véritable nom est donc le Broadwalk, dans le sens de «large promenade». Il s’étend le long de la plage d’Hollywood sur plus de trois kilomètres. On dit qu’aux débuts de la ville, les promoteurs invitaient les vacanciers des états nordiques à venir marcher sur leur fameuse promenade, dans l’espoir qu’en admirant la vue, ils tombent amoureux d’Hollywood et s’engagent à y acheter une propriété.

Le Broadwalk comprend une piste cyclable et une large voie piétonnière, offrant une vue imprenable sur la plage et l’océan. De l’autre côté, petits hôtels, restaurants, boutiques, stands de crème glacée et terrasses vous invitent à flâner ou à vous asseoir le temps de boire ou manger un morceau ou de tout simplement admirer le paysage. Fait important, il n’y a pas d’édifices en hauteur le long du Broadwalk, car on ne veut surtout pas faire de l’ombre sur la plage lorsque le soleil d’après-midi tourne tranquillement vers l’ouest.

Encore aujourd’hui, c’est un lieu de rencontre, où règne un esprit festif du matin jusque tard le soir. Les sonnettes des vélos retentissent, on entend la musique des bands locaux qui s’exécutent dans les bars pendant que certains clients sirotent leur cocktail ou que d’autres dansent sur une piste improvisée. Les sportifs courent ou patinent en zigzag, contournant les qui gens marchent avec insouciance en tenue de plage, les lunettes soleil sur le nez, en jasant ou riant. Des odeurs de nourriture et de lotions de bronzage se mêlent à l’air marin. À mi-chemin, on retrouve le fameux Hollywood Beach Hotel, le premier établissement touristique qui ait été construit dans la ville, dans les années 1920 et qui reçoit encore des vacanciers. Non loin, il y a la scène en plein-air où on donne des concerts gratuits tous les soirs, du mercredi au dimanche.

La ville d’Hollywood a dû être reconstruite maintes fois, à la suite d’ouragans dévastateurs. Encore récemment, l'ouragan Irma, qui n’a fait que la frôler, a causé des dégâts et des soucis. Au début du mois de mars dernier, de hautes marées et des vagues importantes se sont déferlées sur le Broadwalk et dans les rues à l’est de l’Intercoastal Waterway laissant des débris un peu partout. C’est le lot des villes construites sur les côtes de la Floride.  

Au fil des ans, le paysage a changé, mais le rêve qui a germé dans l'esprit de Monsieur Young il y a près d’un siècle s’est réalisé; je crois qu’il serait fier de sa ville aujourd’hui, car on peut définitivement dire qu’Hollywood est devenue une star sur la côte est de la Floride. 

Remerciements à la Hollywood Historical Society pour les faits historiques.
http://www.hollywoodhistoricalsociety.org

Le centre-ville d'Hollywood, avec ses boutiques et ses restaurants.

Le centre-ville d'Hollywood, avec ses boutiques et ses restaurants.

Le Broadwalk de Hollywood longe la plage sur plus de 3 kilomètres.

Le Broadwalk de Hollywood longe la plage sur plus de 3 kilomètres.

Vivre au bord de la mer

Vivre près de la mer, c’est idyllique. Quel bonheur de pouvoir quotidiennement respirer l’air salin, entendre le bruit apaisant des vagues heurtant la plage, regarder l’horizon s’étendre à l’infini dans une multitude de teintes de bleu, marcher sur le sable pendant des heures et se tremper les orteils à l’eau quand il fait trop chaud, laisser son visage profiter des caresses du vent du large... Que dire de ces matins magiques où la boule rouge du soleil levant éclabousse le ciel et la mer de sa lumière, ou de ces soirées quand la pleine lune, comme dans un moment de poésie, se mire dans l’onde !

La mer fait partie de la vie des gens de la Floride, qu’ils soient des «locaux» ou des touristes. Ils l’ont intégrée dans leur quotidien. Elle est leur terrain de jeu, leur parc, leur lieu de culte, leur refuge.

La plage appartient à tout le monde. On choisit son petit coin, on plante son parasol dans le sable et pour quelques heures, on profite de ce paradis. À Hollywood, il y a même un segment de la plage qui est réservé à l’espèce canine et qu’on appelle justement Dog Beach. Les chiens gambadent sans laisse, attrapent les frisbees ou les balles que leurs propriétaires leur lancent.

Le matin, très tôt, on peut voir des gens méditer, assis sur un banc ou un muret bordant la plage, ou ils marchent doucement les pieds nus dans le sable en cueillant des coquillages. Il y a des pêcheurs qui lancent leur ligne à répétition vers le large dans l’espoir de faire une belle prise. Vers 9 heures, une armée de sauveteurs arrivent et s’installent, chacun dans leur cabane, pour commencer une journée de vigie. Ils hissent un drapeau qui, selon sa couleur, indique si on peut se baigner en toute sécurité ou si on doit faire preuve de prudence. Un drapeau rouge signifie que les vagues sont très fortes et qu’il vaudrait mieux s’abstenir de s’aventurer trop loin. Le drapeau mauve indique qu’il y a présence de vie marine potentiellement dangereuse, c’est-à-dire des méduses. On entend parfois le sifflet d’un sauveteur retentir quand un baigneur fait un geste imprudent ou quand un danger le guette.

Il n’est pas rare, les jours de semaine, de voir des travailleurs arriver sur la plage en fin d’après-midi et profiter des dernières heures d’ensoleillement pour relaxer ou pratiquer un sport nautique. La fin de semaine, ce sont les familles qui se rassemblent avec leur pique-nique, leurs jeux et leur radio et on les entend jaser et rire, jouer et crier en sautant dans les vagues turquoise.

Lorsque la mer est aussi calme qu’un grand lac, les baigneurs se laissent flotter dans l’eau. On voit des fanions rouges et blancs reliés à des bouées nous indiquant les endroits où des groupes de plongeurs explorent les fonds marins. Les amateurs de kayak de mer se laissent glisser en pagayant lentement.

Qui dit océan dit aussi embarcations. Les propriétaires de bateaux pullulent en Floride. L’Intercoastal Waterway, un réseau de canaux et de voies d’eau situé le long du littoral, abrite de nombreuses marinas et les ponts-levis qui le franchissent s’ouvrent toutes les demi-heures pour céder le passage aux bateaux. Les automobilistes attendent avec patience, car les engins flottants sont rois ici. Dans les canaux de Fort Lauderdale, qu’on appelle la Venise d’Amérique, une embarcation est amarrée devant pratiquement chaque maison. Sur la mer, on voit des régates de voiliers, des chalutiers de pêche, des catamarans, des yachts luxueux. Et il y a, bien sûr, ces énormes paquebots chargés de conteneurs qui entrent et sortent du port et les bateaux de croisière qui partent tous les soirs vers les Caraïbes en faisant retentir leur sirène.

Quand on vit au bord de l’océan, il faut s’attendre à côtoyer des créatures marines. Au parc de North Beach, les tortues de mer viennent pondre leurs œufs dans le  sable chaque printemps. Il n’est pas rare d’apercevoir des crabes se pointer tôt le matin sur la grève et il ne faut pas craindre de nager en compagnie de poissons. Je n’ai pas vu de dauphins ou de requins à Hollywood, mais sur la plage de Miami, oui. Dans l’Intercoastal, il y a des refuges de lamantins. Mais ce que je préfère observer, c’est le ballet quotidien des pélicans qui survolent la surface de l’eau et plongent avec grâce pour attraper leur repas.

En Floride, des boulevards, des pistes cyclables et des piétonnières longent les plages. Des restaurants offrent des tables sur des terrasses bordant la mer ou les canaux, et les gens s’y rendent parfois en bateau ou en «water taxi». Les maisons n’ont pas de grandes cours, mais plutôt des balcons, des baies vitrées et des patios sur les toits pour permettre aux propriétaires de profiter d’un petit coup d’œil sur l’océan. La vie sur le bord de la mer, c’est comme des vacances perpétuelles.

Mais il y a tout-de-même quelques inconvénients à vivre près de l’océan. Par exemple, les vitres et les autos sont constamment couvertes d’une fine pellicule de sel : il faut donc les laver souvent. La corrosion guette ! Les gens doivent bien entretenir leur propriété pour contrer la rouille.

Et on aura beau faire attention, le sable se faufile partout : dans l’engrenage des vélos, dans les tapis des autos, dans nos vêtements et les semelles de nos souliers, dans nos serviettes de plage. Les balais et les aspirateurs sont fort utiles ! Les rues et les trottoirs doivent être constamment nettoyés pour repousser le sable vers la plage.

Mais ces petits inconvénients ne sont pas si graves. Ce qui est davantage préoccupant, ce sont les vents et les marées qui grugent la plage un peu plus chaque année. C’est un combat constant ici. On plante des arbustes pour contrer l’érosion, on remet du sable sur les plages, mais malgré cela, la mer gagne du terrain, au point où on se demande ici si l’étroite bande de terre entre l’Intercoastal et l’océan existera encore dans quelques décennies. Il y a aussi les problèmes environnementaux. Et c’est sans compter les dégâts causés par tempêtes et les ouragans, de plus en plus fréquents et violents.

La mer est une force de la nature. Quand elle s’agite avec colère, les floridiens la respectent. De gros rouleaux s’élèvent et frappent la plage avec fracas, le vent siffle et secoue fortement les palmiers, les éclairs zèbrent le ciel couvert de nuages menaçants et la pluie se met à tout fouetter sur son passage.  On comprend pourquoi, quand menace un ouragan, les gens évacuent la côte pour se réfugier dans les terres et attendent que le beau temps revienne avant de retrouver la plage et tout rebâtir avec résilience.

Mais dès qu’on voit le soleil se pointer et la mer retrouver son calme, on oublie les catastrophes et les dangers potentiels et on se réapproprie la plage et les quais. Car la vie au bord de la mer est diantrement belle !

Une autre belle journée qui commence!

Une autre belle journée qui commence!

Le long des plages de Floride, on trouve des terrasses, des piétonnières, des pistes cyclables. Les gens s'assoient sur un banc, un muret ou dans le sable et profitent de leur petit coin de paradis.

Le long des plages de Floride, on trouve des terrasses, des piétonnières, des pistes cyclables. Les gens s'assoient sur un banc, un muret ou dans le sable et profitent de leur petit coin de paradis.

De nombreuses marinas dans l'Intercoastal Waterway abritent des embarcations.

De nombreuses marinas dans l'Intercoastal Waterway abritent des embarcations.

La marche matinale

Surf Road traverse le parc de North Beach à Hollywood

Surf Road traverse le parc de North Beach à Hollywood

Chaque matin depuis un peu plus de six ans, quand la température le permet, je commence mes journées en prenant une marche d’au moins 30 minutes.  Je me lève, m’étire un peu, je m’habille et hop, c’est parti. Cette demi-heure d’exercice matinale me ragaillardit au point où je peux difficilement m’en passer. Quand je travaillais, je me levais à 5 heures pour marcher. Maintenant que je suis à la retraite, je pars un peu plus tard, mais rarement après 8 heures.

L’avantage de passer l’hiver en Floride, c’est que les trottoirs ne sont pas glacés, les rues ne sont pas couvertes de neige et de gadoue et il ne fait pas un froid polaire : marcher le matin est une partie de plaisir. Je commence donc chacune de mes journées en franchissant de trois à quatre kilomètres d’un pas rapide.

Tout près du condo où nous logeons, entre les boulevards Dania Beach et Sheridan, s’étend le parc de North Beach, appelé ainsi justement parce qu’il longe la plage au nord de la ville d’Hollywood. C’est là que je prends ma marche. La voie centrale de ce parc, nommée Surf Road, est une longue rue pavée et régulièrement nettoyée qui accueille marcheurs, coureurs et cyclistes et donne accès à une magnifique plage. En plus des palmiers et des fleurs sauvages, d’immenses raisiniers-bord-de-mer y poussent de chaque côté pour atteindre une vingtaine de pieds, créant un tunnel naturel. Ces arbres qu’on ne trouve qu’en zone tropicale sont très résistants à l’air salin, empêchent l’érosion de la plage et protègent les marcheurs du vent et du soleil. De plus, ils produisent effectivement de belles grappes de raisins, qu’on appelle ici Sea grapes, et que certains floridiens cueillent pour en faire de la gelée et même, selon certains, du vin maison.  

Ce parc abrite évidemment une faune et une variété d’oiseaux. Si on se lève très tôt, il n’est pas rare de croiser une famille de ratons laveurs se pavanant effrontément. Les écureuils, les lézards et les souris sont plus timides, mais on peut quand même les apercevoir assez souvent. Les volées de pélicans se dirigeant vers la mer pour commencer leur pêche sont simplement magnifiques à observer.  On peut voir et entendre des cardinaux, des tourterelles, des geais, des chardonnerets, mais aussi d’autres volatiles que je ne connais pas. Et il y a ces faucons majestueux qui planent tout en haut dans le ciel, à la recherche d’une proie.

On y rencontre aussi des chats, beaucoup de chats : chaque année, hélas, des gens abandonnent leur matou dans le parc. Le problème est si grave que de grandes affiches indiquent que ceux qui le font sont passibles d’une amende de 5000 $ ou d’une peine d’emprisonnement d’un an. De toute évidence, malgré les caméras de surveillance et la présence des employés municipaux, certaines gens réussissent à le faire quand même. 

Dans le parc, on passe devant la maison Carpenter, une des plus vieilles maisons de style typiquement floridien bâtie sur la plage d’Hollywood en 1941. C’était, à l’époque, la résidence d’été de Henry Carpenter, un officier de la marine américaine, et de son épouse Rachel, héritière d’une importante chaîne d’épiceries. Aujourd’hui, la maison appartient à l’état de la Floride, a été désignée monument historique et est à la fois un centre d’interprétation de la nature et un endroit qu’on peut louer pour des réceptions ou des réunions.

En marchant, on croise des gens, certains qui nous lancent un «good morning» joyeux, d’autres qui sont dans leur bulle et nous ignorent. Plusieurs promènent leur chien alors que d’autres jasent ensemble en anglais, en espagnol, en russe et oui, bien sûr, en québécois. Les jours de grands vents, ce sont les surfeurs, mais surtout les adeptes de kitesurf qui se dirigent vers l’océan, alors que les jours où la mer est calme, on voit les plongeurs, les kayakeurs et les amateurs de planche à pagaie préparer leurs attirails dans les aires de stationnement.  Il y a aussi des groupes de personnes qui, leur petit tapis sous le bras, traversent le parc pour aller faire une session de yoga sur la plage. La fin de semaine, il n’est pas rare qu’une compétition soit organisée dans le parc pour le bénéfice des amateurs de course. Et certains dimanches, au lever du soleil, on peut apercevoir plusieurs dizaines de gens de blanc vêtus, pieds nus, converger du stationnement à la plage. Une sorte de culte religieux, je suppose.

Les rares matins où le mercure glisse sous la barre des 20 degrés Celsius, on distingue facilement les véritables floridiens des migrants du nord. En effet, les natifs se promènent en pantalons longs, avec un col roulé, un manteau, et un chapeau bien enfoncé jusqu’aux oreilles. Les touristes, comme moi, sont en short et chandail à manches courtes.

Mais peu importe le temps, il est fréquent qu’on rencontre les mêmes personnes, les réguliers. On ne se connaît pas, mais on se salue, simplement parce qu’on se voit quotidiennement sur la piste. Je leur ai tous donné, à leur insu, un surnom.

Il y a Monsieur Cell-Bédaine, ce cinquantenaire de belle apparence, grand et svelte aux cheveux gris et petites lunettes. Il se promène d’un pas distrait, le torse nu, tenant dans sa main, vous l’aurez deviné, son téléphone intelligent, bien souvent à lire ses textos, comme si sa vie en dépendait.

Il y a aussi Rocky, un homme chauve, bronzé et musclé qui ne porte qu’un short gris, et qui coure plusieurs longueurs de la piste en sprint, pieds nus sur l’asphalte. Je m’essouffle et j’ai mal aux pieds juste à le voir aller.

Celle que j’appelle affectueusement Olga est cette femme de petite taille dans la soixantaine à l’air sévère qui marche presqu’aussi vite que moi, mais d’un pas militaire. Elle porte une camisole et des souliers de course bleu électrique, une visière et un sac banane attaché à la taille. Elle a un pendant masculin que j’ai décidé de nommer Pedro. Ils ne se connaissent probablement pas, mais lui aussi est de courte taille, trapu, il porte des lunettes et il marche de la même façon qu’Olga. Et il y a le sympathique Billy Boy, un homme noir costaud assez âgé, mais qui avance avec détermination malgré un léger handicap et qui me fait un beau sourire chaque fois qu’il me voit.

Madame Chow une dame corpulente aux cheveux blonds retenus en chignon qui promène son chien en laisse, un chow chow miniature, tout en lui parlant comme si elle s'adressait à un enfant, d’une voix gazouillante : «fais attention, si tu vas sur la piste cyclable, tu vas te faire mal. Viens avec maman, viens par ici. Est-ce que tu veux que je te prenne dans mes bras ?»

Downey est un floridien –il porte souvent des manches longues - qui me fait penser à l’acteur Robert Downey Junior, par sa coupe de cheveux, sa barbe d’un jour et ses lunettes soleil. Il marche d’un allègre, comme une star, s’arrêtant à l’occasion pour discuter avec les gens qu’il connaît.

Mais le plus intrigant, c’est définitivement Monsieur Mystère. Je l’appelle ainsi parce que, bien qu’il habite dans notre complexe et que je le croise parfois près de la piscine ou dans l’ascenseur, il ne me répond jamais quand je le salue. Il est très discret, peu bavard, à la limite, antisocial. Je sais qu’il a plus de 80 ans, mais il se tient droit comme une barre, marche tous les matins dans le parc et tous les après-midis sur la plage. Il  porte de gros souliers avec des bas de laine, un chapeau à large bord et un sac à dos. Les écouteurs sur les oreilles, il avance d’un pas tranquille et régulier, sans regarder personne. L’autre jour, à ma grande surprise, il m’a fait un signe de la main – après quatre ans, il m’a enfin reconnue ! Mais le lendemain, il m’a croisée à nouveau en restant dans un mutisme le plus complet. Mystère !

Finalement, il y a ce bel homme sympathique qui parfois m’accompagne dans mes virées matinales ou que je croise lorsqu’il se promène à vélo. Ah, mais lui, je le connais. C’est celui que j’appelle affectueusement Chéri depuis près de 30 ans !

C’est une autre belle journée qui commence.

La maison Carpenter, construite en 1941.

La maison Carpenter, construite en 1941.

Un lézard ose faire une sortie.

Un lézard ose faire une sortie.