Un voyage dans le temps

Il y a plusieurs types de voyage. Les voyages en famille, les voyages de ressourcement, les voyages d'exploration, les voyages d'affaires... Je peux dire que je suis très chanceuse car j'ai beaucoup voyagé au fil des ans. Je ne prétends pas avoir tout vu ou tout visité, bien au contraire. Mais je suis encore jeune et j'ai beaucoup de projets.

Cette fois-ci, je vous offre un autre type de voyage, un voyage dans le temps. J'avais envie de partager avec vous quelques anecdotes de ma jeunesse, des souvenirs d'enfance. Ce n'est pas une biographie, seulement quelques clins d'oeil, histoire de me faire plaisir. J'espère que vous en aurez aussi à les lire.

Décembre 1964

Je suis née le soir du 10 décembre 1964, dans le verglas et la controverse.

Le médecin avait dit à ma mère que l’accouchement aurait probablement lieu à la fin du mois de novembre, mais qu’il pouvait aussi survenir deux semaines avant ou deux semaines après. Ma mère avait décidé que ce serait 2 semaines avant. La nature en a décidé autrement. Noël approchait et bébé Brunette ne voulait pas se manifester.

Mon père enseignait au collège Mont St-Louis qui était situé, à l’époque, sur la rue Sherbrooke. Le 9 décembre, alors qu’il donnait un cours à un groupe d’élèves, un frère vint frapper à sa porte. «Monsieur Brunette, votre épouse a appelé. C’est le moment !»

C’était son premier enfant. Malgré son grand sens du devoir, il a confié sa classe au frère des écoles chrétiennes et s’est rendu en vitesse à l’hôpital : fausse alerte. Le médecin a retourné le couple de futurs parents à la maison.

 Le lendemain, quand le même frère a répété le scénario, mon père a pris la décision de rester au collège pour finir son cours. Grand bien lui fit, car je vins au monde en soirée, à 21h38,  alors qu’une tempête de verglas avait couvert Montréal d’une jolie pellicule de glace.

 Dans ces temps-là, les pères n’assistaient pas aux accouchements. Ils patientaient dans la salle d’attente jusqu’à ce que l’heureux événement se produise. Vers 22 heures, une gentille infirmière vint le prévenir que son bébé était né et qu’il pouvait aller le voir à la pouponnière, ce qu’il fit illico. À l’hôpital de Verdun, on plaçait une carte d’identification au bout du couffin des nouveau-nés, rose ou bleue selon le sexe du bébé. La carte de Bébé Brunette était bleue. Papa s’est précipité au téléphone public pour appeler la parenté : «c’est un garçon !»

Tout allait bien jusqu’à ce qu’il croise le médecin. « Félicitations Monsieur Brunette, vous êtes le père d’une belle grosse fille en santé».

Une fille ? Y avait-il erreur sur le bébé ?

Une simple vérification d’usage le rassura. Les cartons roses étaient en rupture de stock à la pouponnière, mais il ne faisait aucun doute que j’étais bien une fille.

Mon père dut rappeler la parenté qui n’y comprenait plus rien. «C’est une fille, un  garçon ou des jumeaux ?» demande une des grands-mères.  «Arrête de faire le clown, ce n’est pas le moment !» le gronde l’autre.

Ainsi, je fis mon entrée dans le monde.

Mes champs de fraises

Dans les années ’60, Fabreville est devenue un quartier de la ville nouvellement fondée de Laval. Mon voisinage ne comportait alors que quelques centaines de bungalows ou peut-être quelques milliers, mais encore. Les rues de Fabreville, à l’époque, ne connaissaient pas les chaînes de trottoir : elles étaient plutôt bordées de bandes de gravier ou de fossés. Les boulevards Dagenais et Labelle délimitaient notre terrain de jeux. En effet, il nous était strictement défendu de traverser ces boulevards, sous peine d’un châtiment terrible. En vélo, je me rendais jusqu’au petit magasin derrière la taverne à Yvon, à côté du salon de barbier de Pierre. Il y avait une énorme côte à descendre pour arriver au magasin, et il fallait prendre garde de freiner à temps pour ne pas traverser la vitrine d’un des deux commerces. Entrer dans le petit magasin était comme de pénétrer dans la caverne d’Ali Baba. Nous pouvions y acheter des choses très «utiles» comme des pétards ou des cartes de baseball, mais surtout des bonbons à l’unité pour quelques cents. Nous hésitions entre les cigarettes Popeye, les «gommie bears», la réglisse, la gomme Bazooka avec les petites bandes dessinées. Pour rendre service, j’allais y acheter du pain, du lait : mes parents me donnaient de l’argent et je faisais confiance à la dame derrière le comptoir pour me rendre la monnaie exacte. Parfois, j’achetais des vraies cigarettes : pas pour moi, pour mes parents. J’avais à peine 5 ans et je ressortais avec les «Mark Ten, filtre régulier» de ma mère sans qu’on n’en fasse un cas. Ce serait une autre histoire aujourd’hui.

Devant ma maison et tout autour de l’école, qu’on appelait à l’époque «Vaillancourt» en l’honneur d’un commissaire, il y avait des champs. Un peu plus loin, passé les rues Hudon et Isabelle, il y avait un boisé et un autre champ que traversaient des pylônes électriques. Nous avions d’ailleurs baptisé l’endroit «champ et bois d’Hydro». Nous aimions y aller pour nous étendre dans l’herbe et regarder passer les nuages : «tiens, celui-ci me fait penser à un ballon de football. Celui-là est en forme de bateau.» Quand notre cercle d’amis était assez important, nous jouions aux cow-boys et aux indiens… Et c’était toujours la guerre. «C’est pas juste, tu triches. J’ai tiré, tu es supposé être mort. Je ne joue plus, tu n’es plus mon ami.» Évidemment, ces bouderies ne duraient jamais très longtemps.

Le bois d’l’Hydro était un lieu extraordinaire pour y construire des cabanes dans les arbres, pour observer des crapauds ou des couleuvres, pour imaginer des histoires épouvantables. Ma plus grande crainte était de m’y perdre et d’être obligée d’y passer la nuit … Surtout qu’on m’avait fait croire que le bois était peuplé de loups féroces.

Mais ce qui m’attirait le plus dans les champs, c’était les petites fraises sauvages qu’on pouvait y cueillir. Nous partions mes amies et moi le matin avec notre chaudière de plastique et nous passions des heures à ramasser ces précieux petits fruits. Tout en faisant notre cueillette dans nos «talles» respectives, nous nous racontions des histoires. Bien sûr, nous mangions autant de fraises que nous en mettions dans notre seau. En revenant à la maison, nous lavions celles qui avaient échappées à notre gourmandise, et nous nous faisions un sandwich aux fraises, extra beurre, extra sucre. Un pur délice.

Combien de moments heureux ai-je passé dans ces champs, à rêver, à rire, à découvrir, à jouer, à tisser des liens d’amitié avec les autres jeunes du quartier, à cueillir fleurs et fruits, à vivre pleinement mon enfance!

En 1970, mon terrain de jeux a été détruit, à mon grand désarroi. La compagnie BA Construction a commencé à creuser des trous partout pour construire d’autres bungalows, beaucoup de bungalows. J’ai dû dire adieux à mes champs de fraises. Que voulez-vous, c’est ça la banlieue. On repousse la campagne pour faire place à d’autres rues, d’autres maisons. Mais cela signifie aussi l’arrivée de nouveaux amis. Avec le temps, j’ai compris que l'amitié valait bien quelques champs de fraises.

Mon amie Marie-France

Moi à 8 ans, et mon amie Marie-France, à droite.

Moi à 8 ans, et mon amie Marie-France, à droite.

J’avais à peine 3 ou 4 ans. Je m’en rappelle comme si c’était hier. Elle jouait dans l’entrée chez elle et s’est mise à me lancer des roches. J’ai répliqué. Son père nous a vues, il s’est approché et nous a dit : «pourquoi vous lancer des pierres, puisque vous êtes des amies ?» Nous avons commencé à jouer ensemble et sommes effectivement devenues amies.

Marie-France était tout de même de quatre ans mon aînée. Elle demeurait dans la grande maison blanche d’à côté, maison que son père, un entrepreneur en construction, avait lui-même bâtie. Elle était la dernière de sept enfants.

Marie-France aimait raconter des histoires d'horreur. J’ai tout appris des vampires et des monstres grâce à elle. Ses récits pouvaient faire frissonner même les plus braves. Elle tenait cela de sa mère. D’ailleurs cette dernière, pour m’empêcher de mettre les pieds dans du ciment fraîchement coulé et y laisser mes traces en permanence, m’avait fait croire qu’elle avait enterré des personnes vivantes sous le nouveau trottoir et qu’elles allaient m’attraper les pieds et que je serais prise pour toujours. Même des années plus tard, je refusais toujours de me promener sur ce trottoir. J’ai longtemps cru, grâce à elle, qu’il y avait une horrible et féroce bête à deux têtes dans leur sous-sol et qu’il valait mieux pour moi de ne pas m’y montrer le bout du nez. C’était sa façon originale de s’assurer que nous n’irions pas toucher les outils de son mari qui y étaient rangés.

Marie-France était une grande productrice de spectacles. Avec elle, quelques jeunes du voisinage et moi avons monté des pièces de théâtre que nous avons présentées dans son garage à notre auditoire captif, nos parents. Nous écrivions aussi quelques invitations à la main que nous distribuions aux enfants du coin que nous connaissions. Le prix d’entrée : 25 cents. Comme Marie-France avait le sens du commerce, il y avait toujours un entracte pendant lequel nous vendions des bonbons et des croustilles, pour 10 cents la poignée. Notre plus belle production fut sans contredit «Winnie l’ourson». Nous avions planté des clous dans une colonne de bois pour que Marie-France, qui jouait le rôle de Winnie, puisse grimper dans «l’arbre». Moi, je faisais Coco Lapin. J’avais mis un chapeau d’hiver auquel nous avions épinglé des fausses oreilles et, en guise de queue, j’avais une boule de «Phantex» épinglée à l’endroit propice.

Marie-France m’a initiée à la corde à danser, au ballon chasseur, au jeu du drapeau et aux élastiques. Elle est venue en vacances avec ma famille. Elle a été invitée à ma première communion. Je l’ai suivie à ses répétitions de chorale et j’ai souvent été invitée à manger chez elle.

Puis un jour, elle a terminé son primaire. Elle allait maintenant être une grande du secondaire. Nous avons passé l’été ensemble et puis, un certain soir d’août, elle est traversée chez moi pour m’annoncer tout simplement qu’elle ne serait plus mon amie. «Tu comprends, tu n’es qu’un bébé. Je ne peux plus jouer avec toi.»

Je ne comprenais pas. Je n’étais pas un bébé, j’étais une grande de 8 ans. Je l’ai suppliée, puis je me suis dit qu’elle changerait d’avis et qu’elle reviendrait de temps à autres me parler et jouer. Mais les semaines ont passé et Marie-France n’est jamais revenue. Quand je la croisais ou la voyais, elle me faisait parfois un bref signe de la main ou me souriait, mais c’était tout.

J’avais perdu ma première amie. J’en ai eu longtemps le cœur brisé.

Traumatisme

Synopsis
Imaginez que vous descendez de l’auto de vos parents un matin et que, du haut de vos trois pommes, vous voyez un immense édifice beige devant vous… Imposant. Apeurant. Sans trop savoir pourquoi, vous vous sentez comme un moustique sur le point d’être écrasé par la grosse main d’un monstre. Est-ce que je ressentais la nervosité de mes parents et me doutais que quelque chose d’important allait arriver? Ajoutez en toile de fond, une petite musique stressante que vous vous imaginez et qui résonne dans votre tête en continu.

J’arrivais à l’hôpital. C’est un scénario encore présent dans mon esprit, même aujourd’hui. Comme un vieux film d'épouvante, certaines scènes reviennent me hanter de temps en temps. Pourtant, je n’avais que trois ans quand je me suis fait opérer pour les amygdales. Je ne rappelle pas trop comment cette aventure a commencé. J’imagine que j’ai dû faire au moins une amygdalite.  Un spécialiste a sûrement déterminé que l’ablation de mes amygdales s’avérait nécessaire. De cette partie, je ne m’en souviens pas. Mais la journée de l’opération, alors oui, je vous le jure, je m’en rappelle. Des bribes, mais quand même...

Trois ans, c’est à la fois bien jeune et déjà trop vieux. Un enfant à cet âge est déjà plus conscient du monde qui l’entoure. Il n’a toutefois pas la maturité pour comprendre tout ce qui se passe et encore moins pour gérer ses émotions. J’ai encore des images très claires, très précises de cette fameuse journée d’opération.

Scène 1
Je me rappelle qu’une infirmière avait demandé à ma mère de me changer pour me faire revêtir la jaquette d’hôpital.  Ensuite, je me revois, assise sur ses genoux dans une salle, à côté d’une autre mère qui accompagnait aussi sa fille en vue d’une opération. Le médecin est passé, tout de vert habillé, une calotte sur la tête et un masque qui lui tombait sous le cou. Il s’est approché de moi et a demandé à ma mère comment je m’appelais. Il a pris un bâton plat entre ses doigts, comme ceux qu’on utilisait pour tenir un «popsicle», mais en plus gros. Puis il l’a tranquillement porté vers ma bouche en disant : «Allons Élaine, fais Haaaaa».

J’étais généralement une enfant assez docile, mais vous comprendrez que rien, absolument rien ne m’aurait fait desserrer les lèvres à ce moment-là, pas même la promesse d’un gros bonbon au caramel fondant.

«Ouvre la bouche pour mon oncle…» répète le docteur de plus en plus impatient.

Mon oncle ? Il croyait vraiment m’avoir avec un mensonge aussi absurde ? Mon oncle ! Ha ! Premièrement, je connaissais bien mes oncles, et je savais que ce martien n’était pas parent avec moi. Deuxièmement, je n’étais pas dupe : il voulait m’enfoncer cet horrible bâton dans la gorge, et il n’en était pas question. J’ai serré résolument les mâchoires et tourné le visage le plus loin possible du faux popsicle et du faux «mon oncle».

Ma mère, probablement un peu honteuse de mon comportement, m’a dit un «ça suffit» retentissant et sans appel. J’ai finalement ouvert la bouche à contrecœur, le monsieur vert a apposé le bâton sur ma langue et a regardé le fond de ma gorge avec intérêt.

Scène 2
Je me rappelle qu’on m’ait étendue dans un lit et qu’on m’ait roulée loin de ma mère. J’ai hurlé, j’ai pleuré, je me suis débattue. Je voulais ma maman. Des infirmières, aussi habillées en costume vert, me tenaient tant bien que mal. Finalement, j’ai vu avec horreur un masque noir descendre vers mon visage. J’ai hurlé encore plus fort. Un peu plus et mes amygdales sortaient de ma gorge par elles-mêmes. La dernière chose dont j’ai eu conscience, c’est qu’on maintenait cet horrible masque contre ma bouche et mon nez.

Scène 3
À mon réveil, j’étais dans une grande salle où il y avait plusieurs personnes alitées. J’étais moi-même dans un grand lit entourée de barreaux. Mais je ne voyais aucun visage connu, pas même celui de mon faux oncle. Où étaient donc mes parents ? J’ai tenté de passer par-dessus les barreaux pour descendre du lit, mais la vieille dame dans le lit voisin s’est empressée de prévenir une infirmière qui est accourue.

«Reste dans ton lit. Ta maman s’en vient», me dit-elle d'un air exaspéré.

Ha ! Était-ce une autre menteuse ? Allais-je la croire ?

Quelques instants plus tard, la voisine semblait endormie. Elle avait les yeux bien fermés. J’ai fait une deuxième tentative pour me sauver de mon lit et j’étais sur le point de réussir quand la vieille chipie s’est mise à crier : «Garde ! La p’tite essaie encore de sortir du lit».

À cet instant, j’ai décidé que je la détestais. À cause d’elle, je n’arriverais jamais à retrouver mes parents. Je me suis mise à sangloter. Et tout à coup, une voix que j’ai reconnue. À l’entrée de la salle, c’était ma mère qui me souriait.

Ouf ! Sauvée. On ne m’avait pas abandonnée. Je rentrais à la maison ! Cette terrible journée d’opération serait à tout jamais derrière moi.

Épilogue
Les jours suivants, j’ai été malade. Les effets de l’anesthésie je suppose. J’avais de la difficulté à avaler quoi que ce soit, même le Jello et la crème glacée. Ma gorge me brûlait.

J’ai toujours détesté le monde médical par la suite. Les hôpitaux, très peu pour moi merci.  J’en ai presque développé une phobie.

Ironiquement, mes deux enfants ont dû être hospitalisés à l’âge de trois ans. Je me demande parfois s’ils garderont de l’hôpital des souvenirs aussi perturbants que les miens. Il est vrai qu’à Ste-Justine, on a le tour avec les enfants : les infirmières portent des uniformes amusants, les médecins ne prétendent pas être des oncles ou des tantes, le personnel a la bonne façon d’expliquer aux enfants ce qui va leur arriver et de les préparer aux soins qu’ils vont recevoir. Les parents sont impliqués et font partie du décor en tout temps. Nous étions là quand mon fils a ouvert les yeux après son opération. Nous avions un lit dans la chambre de notre fille pour dormir à ses côtés. Je crois que le film a été moins traumatisant pour eux. Tant mieux !

FIN

La classe de tante Laurette

J’avais presque six ans quand j’ai fait mon entrée à l’école. J’avais si hâte ! Ma mère m’avait amenée au centre-ville de Montréal, dans les grands magasins pour acheter mes vêtements et mes souliers. Déjà, je sentais que la rentrée scolaire était un moment important : habituellement, on allait magasiner au Miracle Mart des galeries St-Martin, à Chomedey, mais pas cette fois-là. J’avais été très impressionnée d’entrer chez Eaton, Simpson et Morgan et d’entendre ma mère parler anglais avec les vendeuses.

J’étais allée visiter ma maternelle quelques temps avant le début des classes. C’était un petit bâtiment séparé et clôturé, à l’arrière de la grande école. J’avais rencontré mon enseignante qui m’avait trouvée bien grande pour mon âge. J’allais être dans la classe de Tante Laurette, dans son groupe d’avant-midi. J’avais une belle marguerite en feutre avec mon nom inscrit dessus qu’on devait épingler sur mes vêtements chaque matin.

Je me rappelle le grand local chargé de jouets et de matériaux de bricolage de toutes sortes. Je sens encore l’odeur de gouache et de crayons feutres. Les toilettes étaient toutes petites, à notre hauteur, les chaises et les tables aussi. Lorsque nous étions indisciplinés, tante Laurette nous punissait en nous isolant dans la salle des casiers. Humiliation ultime. J’y suis allée à quelques reprises pendant l’année. Il paraît que je parlais trop…

Parmi mes camarades de classe, il y avait Martine. C’était mon amie. Nous faisions toujours notre sieste l’une à côté de l’autre, elle sur son tapis bleu et vert, moi sur mon tapis rose. Pour les cours d’exercices physiques, elle portait des Adidas, des vrais, avec les barres bleues sur le côté, et j’en étais fort épatée. C’était d’un chic fou avec son Léotard et ses collants noirs. Il y avait aussi Bruno qui pleurait chaque matin, la tête sur le mur de briques rouges, avant le début de la classe. On essayait de lui parler, de le consoler, en vain. J’aimais bien taquiner Benoit, probablement parce qu’il se fâchait si facilement. Un jour, je crois que j’ai un peu exagéré avec mes plaisanteries, car il a accidentellement échappé de la colle dans ma longue tignasse. Le lendemain, je suis allée à l’école avec une belle coupe «chat».

À la fin de l’année, nous avons présenté un spectacle, sur la grande scène de l’auditorium de la Régionale des Milles-Îles – ce qu’on appelle aujourd’hui l’école Curé-Antoine-Labelle. Sur une musique rythmée, tous les amis de la maternelle de l’école Vaillancourt avaient exécuté une danse qui devait représenter une fleur dans le vent : moi, j’étais un pétale. Un grand succès !

Je ne le savais pas à l’époque, mais c’était pour moi le début de ce qui allait être un long, un très long parcours scolaire !

Les clochers de Montréal

Sur le balcon de mes grands-parents Herring, avec mon frère Charles.

Sur le balcon de mes grands-parents Herring, avec mon frère Charles.

Les dimanches, quand j’étais très jeune, nous allions visiter les grands-parents maternels ou paternels.  Ils demeuraient respectivement dans les quartiers voisins de Côte St-Paul et Ville Émard, à Montréal. 

Pour s’y rendre, mon père refusait de prendre l’autoroute des Laurentides. Il préférait prendre «le vieux chemin», c’est-à-dire le boulevard Labelle, puis le boulevard Laurentien. Il disait qu’avec des enfants, c’était plus prudent, surtout en cas de panne. La route nous semblait très longue et mon frère et moi avions trouvé des repères qui nous aidaient à passer le temps et à deviner si nous étions presqu’arrivés : la récréathèque de Laval et le parc Belmont, l’hôtel de ville de Saint-Laurent avec ses fontaines et les laboratoires Ayerst, la grosse orange Julep en haut de l’autoroute Décarie et finalement, les dômes de l’église St-Paul sur le bord de la 15, juste avant la sortie du boulevard de la Vérendrye. À force de regarder dehors alors que l'auto était en mouvement, l’un d’entre nous finissait toujours par avoir la nausée.

Mes grands-parents Herring demeuraient sur la rue de Champigny. Pour accéder à leur appartement au 3e étage, il fallait grimper un très long escalier en fer forgé. Je me rappelle la grande cuisine avec l’énorme poêle noir. Dans la pièce attenante, il y avait un petit salon avec la télévision. Dans la salle de bain, quand on regardait par la fenêtre, on n’avait pas vue sur l’extérieur mais sur un puits de lumière, une espèce de corridor en hauteur couvert d’un toit en verre.  Un grand panneau recouvrait le bain, ce qui en faisait une cachette idéale. Dans la cour, il y avait un balcon et un escalier en bois peint gris ceint par d’énormes bosquets de pivoines. En juin, de grosses fleurs roses et magenta embaumaient, mais il ne fallait pas y toucher parce que les pivoines appartenaient aux propriétaires de l'immeuble.

Mon grand-père Freddie était un anglais, un vrai, né en Angleterre. «Grandad» nous parlait dans un français un peu cassé et teinté d’expressions anglaises. Il nous racontait la comptine des petits cochons et nous chantait la chanson du petit minou : «Hier au soir su le trottoir, y avait un beau p’tit minou, la queue coupée, les oreilles arrachées, as-t-y frette, as-t-y frette mon minou.» Ma grand-mère Rita avait des cheveux couleur de jais et des yeux perçants, en digne descendante d’une amérindienne, mais je me rappelle surtout de son sourire et de sa voix qui retentissait dans sa cuisine.

Mes grands-parents avaient un chien Beckey, qui était tout noir et que nous adorions. Je me rappelle qu’il avait en fait quelques poils blancs sur le dos et ma grand-mère m’avait expliqué que «c’était parce qu’il était vieux.»

Non loin de chez eux, il y avait un parc, et juste devant ce parc, dans un édifice à étages avec une porte en verre teinté bleu, se trouvait l’appartement de mon arrière grand-mère britannique, Emma Jane, que nous appelions Nanna. Elle vivait avec sa sœur Auntie Flo. Nanna était établie à Montréal depuis plus de 40 ans et n’avait jamais appris le français. Comme je ne parlais pas anglais à l’époque, je n’ai jamais pu véritablement communiquer avec elle et je le regrette sincèrement.

Les parents de mon père avaient leur propre maison sur la rue Dumas, une longue voie sur laquelle trouver une place de stationnement relevait du miracle. Parfois l’été, quand nous arrivions chez mes grands-parents, les Bourbonnais, leurs locataires qui ont longtemps habité l’étage du dessus, étaient assis sur leur balcon et nous saluaient.

Du vestibule, un long corridor nous menait jusqu’à la cuisine, à l’arrière. Au plafond pendaient les tuyaux du système de chauffage. Dans la salle de bain, il y avait la machine à laver avec son «tordeur». Invariablement, nous nous installions autour de la table de cuisine massive, d'un bleu à la mode du temps. Ma grand-mère Juliette, qu’on appelait Juju, sortait les plats de croustilles et les bouteilles de Coke avant de s’installer dans sa chaise berçante. Elle n'était pas très grande et elle ne parlait pas beaucoup, mais elle ne se laissait jamais marcher sur les pieds, et tout le monde la respectait au plus haut point.

Mon grand-père Georges se tenait souvent debout, à côté de son petit meuble et son appareil  radio. Dans un verre, il versait sa Molson, ou «son petit bateau», comme il disait si bien. Il était taquin, ce cher Pépère, et il aimait attiser les discussions, souvent en donnant une opinion contraire à tout ce qui se disait. Nous n’étions jamais très certains s’il s’agissait véritablement du fond de sa pensée ou s’il ne faisait qu’étriver la compagnie !

Tous les petits-enfants de Georges ont eu le bonheur «d’apercevoir la lune». Il prenait un tube en carton, celui auquel avait été enroulé du papier d’emballage par exemple, puis demandait à l’enfant de regarder dehors à travers le tube pour voir la lune de près. Il en profitait pour verser de l’eau à l’autre extrémité du tube et vlan ! La lune nous éclaboussait le visage.

Parfois, nous avions le droit d’aller nous acheter une friandise au petit magasin du coin. Par beau temps, nous sortions aussi dans la cour. Elle n’était pas très grande car «la shed» de Pépère était assez imposante. Au fond, il y avait la ruelle, mais il nous était défendu d’y aller.

Étonnamment, il  y a un son qui me rappelle ces dimanches chez mes grands-parents : celui d’une volée de cloches. En effet,  j’entendais les clochers des églises qui se répondaient d’une paroisse à l’autre, d’une heure à l’autre et je me souviens à quel point leur dialogue musical me fascinait. J’étais une fille de la banlieue et il n’y avait pas d’église dans mon quartier à cette époque. Les messes se disaient dans les gymnases d’école.

Le ding-dong joyeux des clochers de Montréal, c’était donc un son de la ville, un son du dimanche. C’est un son qui, encore aujourd’hui, pour moi, est indéniablement associé à mes visites chez mes grands-parents.

Contagieuse

En première année, j’ai remarqué que certains de mes camarades n’allaient pas dîner à la maison comme je le faisais. Ils arrivaient le matin avec leur belle «boîte à lunch» et ils dînaient tous ensemble dans le gymnase de l’école. J’étais un peu jalouse : j’aurais aimé avoir une belle boîte comme la leur et pouvoir m’amuser avec eux sur l’heure du dîner. Mais je n’avais qu’à faire quelques pas pour traverser la rue Edgar et j’étais chez moi. En plus, ma mère était à la maison et mon repas m’attendait sur la table. Il était hors de question que je dîne à l’école… Je ne me rendais pas compte de la chance que j’avais.

À la fin du mois de janvier, on nous a remis une lettre annonçant qu’en février, dans le cadre du carnaval à l’école, il y aurait des activités spéciales pendant deux jours. La première journée, tous les élèves de première année devaient apporter leur repas pour dîner ensemble à l’école. Quelle joie ! Quelle fête ce serait ! J’allais enfin pouvoir manger avec mes amies. J’ai dû en parler abondamment, car quelques jours avant le carnaval, mon père a exaucé mon plus grand souhait : il m’a amenée au Canadian Tire pour m’acheter une boîte à lunch, en plastique rigide de couleur caramel, avec un dessin de «Road Runner» dessus. À l’intérieur, il y  avait un thermos de la même couleur. C’était la plus belle boîte à lunch au monde ! Puis, à l’épicerie, nous avions acheté ce qu’il fallait pour préparer mon repas, selon mes goûts. La veille du carnaval, ma mère m’a préparé mon sandwich au «baloney»,  elle a versé du lait dans mon thermos, et a placé le tout avec mon petit gâteau Vachon – un Jos Louis, rien de moins – dans le réfrigérateur. Le lendemain, elle allait tout mettre dans ma super boîte à lunch, juste avant mon départ. Je me voyais déjà parader dans la cour d’école avec ma nouvelle acquisition. J’étais vraiment excitée.

Le lendemain matin, je me suis levée comme d’habitude et en arrivant dans la salle de bain, j’ai remarqué quelque chose d’inhabituel en contemplant mon reflet dans le miroir. Des petits picots rouges étaient apparus pendant la nuit dans mon visage… Et sur mes bras… Et sur mon ventre… Et… Zut ! C’était quoi ces trucs ?

Me doutant que ce n’était pas de bonne augure, je suis vite allée m’habiller et j’ai essayé, tant bien que mal, en peignant mes cheveux par en avant, en tenant ma tête baissée, de dissimuler ces horribles choses. Mais hélas, malgré mon camouflage, ma mère les a vues et la phrase fatidique s’est fait entendre : «tu ne peux pas aller à l’école ainsi ! Va te recoucher immédiatement !» J’ai eu beau essayer de la persuader que je me sentais très bien, la supplier de me laisser aller au carnaval, pleurer toutes les larmes de mon corps, rien n’y fit : j’étais condamnée à rester à la maison.

Notre médecin de famille est passé m’examiner dans le courant de l’avant-midi. M’examiner ? Un seul coup d’œil a suffit ! Varicelle ! Au moins 7 à 10 jours de confinement. Mon carnaval allait se limiter à des bains de calamine. J’ai mangé mon dîner dans notre cuisine puis j’ai rangé ma belle boîte à lunch dans l’armoire. Qui sait si j’aurais une autre occasion de l’utiliser?

 Deux ans plus tard, j’étais une grande de troisième année. Dans le cadre d’un projet éducatif, notre école avait abonné ses élèves aux matinées symphoniques du chef d’orchestre Mario Duchesne, à la Place des Arts.

J’adorais la musique et mes parents m’avaient parlé de cette belle salle Wilfrid-Pelletier où j’allais mettre les pieds pour la première fois. En classe, mon enseignante nous avait préparés au premier concert. J’imaginais l’orchestre, la salle grandiose. J’avais si hâte d’y aller !

Vous vous doutez bien qu’il est arrivé quelque chose ! Effectivement, le matin du concert, je me suis levée avec les oreillons. Je suis restée à la maison en me disant que la guigne allait me poursuivre ainsi toute ma vie.

Aujourd’hui, je me demande si mon aversion pour le domaine médical n’est pas liée justement à ces malheureux événements. La maladie et, par conséquent les médecins, sont pour moi synonymes d’occasions ratées. Comme une tempête de grêle, ils arrivent soudainement pour ruiner les petits bonheurs qu’on a si longtemps cultivés. Heureusement, je n’ai pas été malade souvent. J’espère qu’il en sera ainsi encore longtemps.

Une journée à Caughnawaga

Chaque été, c’était sacré, nous allions passer une journée à Caughnawaga, la réserve Mohawk sur la rive-sud de Montréal qu’on appelle aujourd’hui Kahnawake. Les cousins de mon père, Lucille et Gérard, avaient un «camp» sur la réserve, à la pointe de Joe Bell, sur les rives du Lac St-Louis.

C’était un long voyage pour s’y rendre. Il fallait traverser Laval puis l’île de Montréal et prendre le pont Mercier. Une fois sur la réserve, on voyait des commerces et quelques totems et j’étais fort impressionnée : nous étions en territoire «indien».*

Pour arriver au camp de tante Lucille et oncle Gérard, on empruntait un chemin de gravier qui serpentait dans un boisé et qui me semblait interminable. Chaque année, je me demandais comment mon père faisait pour s’y retrouver.

Nous adorions aller à Caughnawaga. C’était un endroit de rêve pour des enfants : il y avait tant d’endroits à explorer, tant de choses à faire. Pour trouver des vers de terre et aller à la pêche, mon frère Charles et moi soulevions les roches que tante Lucille avait peintes de couleur blanche. Nous allions sur le quai, jusqu’au bout, avec nos cannes à pêche et nous attrapions perchaudes et crapets soleil que nous rejetions aussitôt à l’eau. Je me rappelle de Monsieur et Madame McCarthy, les voisins. Ils ne parlaient qu’anglais et nous ne comprenions pas un mot de ce qu’ils nous disaient, mais nous étions fort contents quand ils nous prêtaient leurs jumelles pour que nous puissions observer les gros bateaux qui empruntaient la voie maritime du St-Laurent. Il y avait les écureuils et les petits suisses à qui nous donnions des arachides en écaille. Il y avait le boisé où nous nous promenions. Non loin du camp, il y avait une plage. Nous empruntions un sentier avec nos grandes serviettes sous le bras et nos sandales aux pieds pour nous y rendre à la marche. On pouvait se baigner dans le fleuve sans problème à l’époque. Sur le bord de la plage, il y avait un restaurant qui diffusait de la musique à la mode et où on pouvait se procurer des cornets de crème glacée qui avait une forme spéciale : ce n’était pas une boule mais comme une forme de guimauve.

Ce que nous aimions par-dessus tout, c’était d’aller faire un tour de chaloupe. Nous espérions toujours qu’oncle Gérard, ou un de ses enfants, nous offre d’aller sur le lac en bateau à un moment de la journée. Nous revêtions nos vestes de sauvetage et allions nous installer sur un banc en faisant attention de ne pas trop faire bouger l’embarcation. Oncle Gérard tirait sur une corde pour faire démarrer le moteur, on détachait les amarres et c’était le départ. Nous allions doucement au début. Mais une fois au large, nous prenions de la vitesse. Nous croisions d’autres bateaux, parfois nous nous approchions des énormes paquebots au point où nous pouvions voir les passagers qui nous faisaient, à notre grand bonheur, un signe de la main. J’aimais la vitesse, le vent, les vagues qui faisaient sauter la chaloupe. C’était grisant. Mais parfois, il fallait ralentir, car il y avait des joncs et ça pouvait faire coincer l’hélice du moteur. Ces tours de bateau n’étaient jamais assez longs pour moi. Mais bien sûr, nous finissions par retourner au quai, les cheveux en bataille et le sourire aux lèvres.

Le camp de tante Lucille et d'oncle Gérard était fort confortable. Je me rappelle le salon qui était une sorte de véranda vitrée et où on pouvait s’installer pour regarder la télévision. Il y avait aussi bien sûr la cuisine où on se réunissait pour souper, mais aussi où les adultes jouaient parfois aux cartes jusque tard dans la soirée. Ils jouaient au 500 ou à la mitaine. On les entendait crier à l’occasion quand quelqu’un avait fait un bon coup. Je me rappelle surtout de la toilette : la pompe faisait un bruit d’enfer et je me dépêchais vite d’en sortir tellement j’avais peur.

Autant que possible, nous restions à l’extérieur. C'était l'été après tout! Il y avait une balançoire et des chaises de plage avec des petites tables pliantes sur lesquelles tante Lucille disposait des croustilles, des crottes de fromage et des pretzels. À la brunante, elle sortait les chasse-moustiques verts en spirale pour éloigner les maringoins.

Je me rappelle des sauterelles qu’oncle Gérard prenait en ses doigts pour les menacer de nous donner du miel. Je me rappelle de son chien Spot qu’il faisait chanter. Je me souviens aussi d’une certaine fois où nous sommes allés acheter du blé d’inde chez un producteur non loin et que nous étions allés dans le champ pour le cueillir.

En fin de soirée, épuisés mais heureux, nous disions au revoir à tante Lucille et oncle Gérard, nous montions dans l’auto et nous n’étions même pas arrivés au chemin principal que nous étions déjà endormis. C’était une autre belle journée à Caughnawaga.

* Je rapporte ici ce qui était dit à l'époque. Évidemment, on dirait aujourd'hui «autochtone», et la réserve s'appelle maintenant Kahnawake.

Les vacances d'été

En Gaspésie en 1967

En Gaspésie en 1967

Mon père avait un mois de vacances l’été, le mois de juillet.

Pour moi, c’est à ce moment que commençaient les véritables vacances d’été. Habituellement, nous restions chez nous, à Fabreville. Nous avions des amis avec qui nous jouions à la cachette ou au ballon. Nous pouvions rester au parc ou dans les rues, jusqu’à ce que les lampadaires de la ville s’allument le soir.

Nous avions une grande cour, une piscine hors terre et le fameux gazebo qui nous permettait de passer nos soirées à l’extérieur sans nous faire dévorer par les moustiques. De forme octogonale, mes parents l’avaient installé sur un plancher de dalles en ciment. À l’intérieur des murs en moustiquaire, nous avions installé une lampe, une table et des chaises, et même la petite télévision en noir et blanc de mon frère. On y regardait les matchs des Expos ou parfois un film ou une émission de variété. L’après-midi, entre nos saucettes dans la piscine, nous nous y assoyions pour jouer aux cartes ou à un jeu de société, à l’ombre. Combien de livres ai-je lus assise dans un coin du gazebo! Parfois, en fin d’après-midi, ma mère sortait une petite collation : biscuits Ritz avec fromage cheddar et olives.

Nous étions bien chez nous, mais cela ne nous empêchait pas de faire des sorties en famille. Nous faisions habituellement des voyages d’un jour. Nous allions aux parcs d’attraction du nord-ouest des États-Unis : Frontier Town, Make Believe Village, Santa’s Workshop.

D’autres fois, nous partions pour faire la tournée des «villages» dans les Laurentides : le village de Séraphin, le village du Père Noël, le village du far-west du capitaine Bonhomme, à Ste-Adèle.

En Ontario, nous avons visité le Upper Canada Village : je me rappelle du bon pain qu’on y vendait. Nous avons aussi fait la tournée des musées d’Ottawa. Il y a eu également les escapades au champ de patates de Rigaud, à la plage d’Oka, aux écluses de Carillon, aux chutes de Rawdon, ou tout simplement à Terre des Hommes. Une fois par été, nous allions au Parc Belmont, de soir habituellement, car c’était plus joli lorsque les manèges étaient tous illuminés. J’avais cinq ans quand j’ai fait mon premier tour dans «le Cynique», les fameuses montagnes russes. J’avais tellement eu peur que j’en étais restée sans voix, ce qui n’est pas peu dire.

À mon grand bonheur, nous avons fait quelques vrais voyages en famille, loin de Fabreville.  Peut-être cinq. En fait six, mais la première fois, nous étions allés en Gaspésie alors que j’avais un peu plus de deux ans, donc je ne m’en souviens pas vraiment. En 1971, nous sommes allés visiter la sœur de ma mère, ma tante Jane et sa famille, à New Haven au Connecticut. Nous étions restés chez eux, dans leur maison. Ils avaient deux gros chiens et un chat et je me rappelle qu’à un souper, un des chiens avait sauté sur la chaise pour manger la portion de spaghetti de mon cousin, ce que nous avions trouvé très rigolo.

Un autre été, nous avons accompagné mon père qui avait été invité à un congrès dans le coin de St-Michel-des-Saints, sur le bord du lac Trèfle, dans une sorte de colonie de vacances. Nous demeurions dans un petit chalet en bois rond dans lequel les murs n’allaient pas jusqu’au plafond. Les repas étaient servis dans un bâtiment central : quand c’était l’heure de manger, on nous appelait avec une grosse cloche et tout le monde se retrouvait dans une grande salle à manger. Ce ne furent pas des vacances de rêve : il avait beaucoup plu et nous nous étions fait littéralement dévorer par les mouches noires et les brûlots.

Mais je me rappelle avec bonheur les deux semaines que nous avons passées à Val-des-Bois en Outaouais, dans un chalet sur le bord du lac Orignal. Dans le salon, il y avait une fenêtre panoramique qui nous donnait une vue exceptionnelle sur le lac. Nous étions avec les Bertrand, des amis de la famille. Nous sommes allés à la pêche, nous avons fait des randonnées en forêt, et le soir, nous chantions des chansons.

En 1975, nous sommes allés en camping jusqu’à Niagara, voir les fameuses chutes. Notre voisin nous avait prêté sa tente-roulotte, ce qui fut toute une aventure. Nous avons eu droit à une vague de chaleur. Alors que nous revenions par l’état de New York et que nous roulions sur une autoroute, un des deux pneus de la roulotte a éclaté. Mettre le pneu de secours par une chaleur humide frôlant les 40 degrés avait été tout un aria pour mon père. Il en parle encore aujourd’hui !

Les dernières vacances en famille que nous avons prises, c’était en 1978. Nous avons passé une semaine sur le bord de la mer, à Hampton Beach. Nous logions au «chic» Moulton motel. L’eau de l’océan était glaciale, mais mon frère et moi y passions nos journées, à sauter dans les vagues. Nous faisions également voler nos cerfs-volants sur la plage. C’est ainsi que j’ai appris qu’il ne faut jamais abuser des bonnes choses, comme le soleil : j’ai fait une insolation, fièvre et frissons inclus !

Ce n’est que beaucoup plus tard, quand on est devenu adulte, qu’on comprend l’importance de ces moments privilégiés en famille. Les étés suivants, j’ai commencé à participer à des programmes d’échanges étudiants. Puis, je suis partie pour la Californie pendant un an. Après, je me suis mise à travailler et à voyager, seule ou avec des amis. Les vacances, ça ne se passait plus en famille.

Il aura fallu que j’attende de fonder ma propre famille pour revivre de tels moments.

Malheurs de malheurs

Je vous préviens, cœurs sensibles, cette histoire n’est pas si amusante.

Vous vous rappelez le roman de la comptesse de Ségur, Les malheurs de Sophie? Et bien, comme chaque famille, je suppose, nous avons eu notre lot de petits malheurs. Rien de trop grave, heureusement, mais assez pour que mes parents songent à installer une affiche «danger» devant la maison.

Je n’avais pas encore appris à marcher que j’avais déjà eu mon premier accident : pendant un moment d’inattention de mes parents, alors que j’étais couchée sur la table, je me suis mise à rouler sur moi-même, jusqu’à ce que je tombe sur le sol. Bras fracturé. Je ne m’en rappelle pas, bien sûr, mais on m’en a fait le récit.

L’autre histoire qu’on m’a racontée, c’est la fois où chez mes grands-parents, j’ai pris un bonbon dans un bol à l’insu des adultes, l’ai avalé et me suis étouffée. Alors que je commençais à prendre une jolie teinte de bleu, mon père m’a prise par les pieds pour me tourner à l’envers et m’a frappée violemment dans le dos. Le bonbon est tombé sur le sol, a roulé, et n’a jamais été retrouvé. Qu’importe,  moi, j’avais repris mon souffle et j’avais retrouvé mon teint de pêche.

À cinq ans, alors que je me promenais à vélo, j’ai heurté un gros caillou avec ma roue avant, j’ai perdu l’équilibre et suis tombée tête première sur le pavé. Un voisin m’a trouvée et raccompagnée à la maison. J’avais une bosse énorme sur le crâne, j’étais étourdie, j’avais la nausée. Diagnostic : commotion cérébrale.

Ma sœur a eu droit à quelques points de suture au visage et à la tête. Elle a aussi appris qu'une main sur un rond de poêle rouge ne faisait vraiment pas de bien. Mon frère a aussi eu ses histoires malheureuses.  Il s'est fendu la tête. Il a tiré sur un cordon électrique et a reçu un fer à repasser chaud dans le visage. Et quand ce n’était pas nous les victimes, c’était les amis. Un jour après l’école, mon frère et un de ses copains avaient décidé de frapper des balles golf dans notre cour ; par accident, mon frère ayant exercé son élan avec un peu trop d'enthousiasme, avait plutôt heurté la tête de son ami avec son bâton. L’ami en question ne s’en était quand même pas trop mal sorti, mais il n’est jamais plus revenu jouer à la maison. Je me demande pourquoi…

Ma mère n’échappa pas non plus à la guigne familiale : tout le voisinage a été alerté quand elle s’est coupé le bout du gros orteil en passant la tondeuse.

Mais rien ne m’a autant ébranlée que la fois où mon frère a subi de graves brûlures à l’abdomen en échappant sur lui-même une tasse d’eau bouillante. Je l’entends encore crier. Il était revenu de la clinique, enveloppé comme une momie.

Le vieil adage dit : «quand on se compare, on se console». Trois de nos voisins à Fabreville ont perdu leur maison et leurs biens à cause d’un incendie. Pour moi, c’était le pire des malheurs qui pouvaient arriver.

Le premier incendie, c’était chez mes amies Gina et Céleste, des italiennes et les cadettes d’une famille de sept enfants. Leur père était le propriétaire d’un nettoyeur et il entreposait dans son sous-sol des produits hautement inflammables. En faisant fondre de la cire de bougies sur des bouteilles, deux des filles avaient malencontreusement jeté une allumette au mauvais endroit. Le feu avait tout détruit en peu de temps.

Le deuxième, c’était chez nos voisins de notre cour arrière. Un court-circuit électrique au sous-sol avait tout déclenché. Francine, notre voisine, s’était réfugiée chez nous avec ses deux jeunes enfants. Je me rappelle encore son regard alors qu’elle contemplait sa maison par la fenêtre de ma chambre. Quelques jours plus tard, j’étais entrée dans leur maison pour voir les ravages que le feu avait faits. Les tuiles du plancher avaient fait des bulles sous l’effet de la chaleur, et ce qui n’avait pas brûlé était noirci par la fumée. L’odeur m’avait prise à la gorge. C’était une odeur que je ne souhaitais plus jamais sentir à nouveau.

Le troisième incendie est arrivé beaucoup plus tard. C’était chez les Provost, qui demeuraient juste à côté de chez nous. Un feu de cuisson. Je m’en souviens particulièrement, car j’avais eu toute une frousse. C’était juste à l’heure du souper et je revenais à la maison en auto avec mon père. Du bout de la rue, nous avons aperçu les camions de pompier devant notre maison. Pendant plusieurs secondes, mon père et moi avons gardé le silence, probablement pensant tous les deux la même chose : est-ce que c’est notre maison qui avait brûlé ?

Les petits malheurs de notre famille et de nos voisins nous ont poussé à former un cercle d’entraide. Quand un accident survenait, un voisin reconduisait ma mère et le blessé à la clinique ou au CLSC à Ste-Rose. Pendant ce temps, un deuxième voisin s’occupait des autres enfants. On prenait soin de notre monde. Il y a eu des cambriolages, des accidents, des blessures, même une piscine hors terre qui a éclaté. On demandait des nouvelles de l’un ou de l’autre, on s'inquiétait pour eux, on offrait son aide.

On dit que ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts. C'est vrai. Cela nous donne aussi des histoires à raconter.

Papa fait le souper!

Comme bien des hommes de sa génération, mon père ne savait pas cuisiner. Il n’avait jamais eu à apprendre et n’avait aucun intérêt pour le faire. Il y avait toujours un repas qui l’attendait sur la table.

Ainsi, quand à l’occasion, il nous disait : «ce soir, c’est moi qui fais le souper», nous savions ce que cela voulait dire. Restaurant !

 Les choix étaient plutôt limités à l’époque. Nous n’étions pas encore sensibilisés aux méfaits de la malbouffe. Les restaurants ne pullulaient pas comme aujourd’hui et les types de cuisine étaient peu diversifiés. Jamais, dans ces années-là, aurait-on imaginé apporter notre vin au resto et encore moins amener les enfants manger dans un endroit chic.

À Fabreville, il y avait Chez Gérard sur le boulevard Labelle qui vendait les plus graisseuses et délicieuses frites du coin. Le restaurant était sis dans une grosse bâtisse brune avec, sur le devant, un chien en forme de «hot-dog» qui s’illuminait d’un néon rose le soir. Il y avait aussi Miss Laval Pizzeria dans le centre d’achats Gilbert. Le minuscule restaurant comportait une série de tables en formica brun. On pouvait s’asseoir sur la banquette et mettre une pièce de monnaie dans le petit Juke-Box pour choisir une chanson. On tournait les pages pour lire les titres. Des croissants de soleil pour déjeuner, de Ginette Reno, ou L’oiseau de Michel Fugain ? La pizza pepperoni-fromage était un véritable péché. Miss Laval faisait aussi la livraison à la maison. Pour empêcher le carton de toucher les garnitures sur la pizza, le cuisinier plaçait  une grosse boule de pâte sur le dessus. Mon frère et moi nous nous disputions toujours pour l’avoir et la manger. Je ne sais pas pourquoi : c’était carrément indigeste.

 Occasionnellement, nous allions chez A et W, au coin du boulevard Ste-Rose et Labelle, où nous commandions Papa, Mama et Bébé burgers avec des gros verres de «root beer». Une serveuse venait nous porter notre repas dans un cabaret qu’elle accrochait après la vitre de notre auto. C’était le début du service au volant ! Manger dans l’auto n’était pas chose facile. Il fallait faire attention de ne rien renverser sur les sièges ou les tapis; maladroite comme j’étais, c’était pour moi une épreuve.

Le Colonel Sanders et Ronald McDonald sont arrivés au Québec, mais ils ne s’établirent pas à Fabreville au début. Il fallait aller jusqu’à Chomedey pour commander un baril de poulet ou un BigMac. Quoique le McDonald que nous fréquentions le plus souvent était celui de Rosemère. Je prenais invariablement un hamburger avec une petite frite.

Les soirs d'été, lorsqu'il faisait trop chaud pour dormir, mes parents nous amenaient au Dairy Queen près de l'aréna. Nous montions dans l'auto en pyjama et nous allions déguster un cornet à crème molle, trempé dans le chocolat. 

Pour les occasions très spéciales, nous allions souper au fameux Ste-Rose Dinner à Fabreville, non loin de la clinique médicale. C’était mon restaurant préféré. On y servait des mets chinois que j’adorais. Dans mon souvenir, la salle à manger était très grande, l’éclairage était tamisé et il y avait un gros aquarium dans l’entrée. Les tables étaient recouvertes de nappes blanches et les serviettes étaient en tissu bleu et non en papier, pliées de façon élégante. Le serveur venait prendre notre commande et nous apportait notre repas à notre table. Je trouvais cela vraiment très chic et je me sentais comme une princesse.

Le restaurant était rattaché à un motel. Si j’avais compris, à cette époque, ce que signifiait l’affiche «nous louons des chambres à l’heure», je n’aurais peut-être pas trouvé cela aussi «haut de gamme» !

Enfants de la télé

C’était un gros meuble qui trônait dans notre salon et qui retenait toute notre attention. Pour changer de poste, il fallait se lever et tourner le gros cadran. Si l'antenne en oreilles de lapin étaient bien ajustée, nous pouvions espérer voir les images magiques, en noir et blanc.

La télévision a bercé mon enfance. Toute jeune, avant même d’entrer à la maternelle, j’écoutais les émissions du matin sur les réseaux anglais : Friendly Giant avec sa girafe, Romper Room et le miroir magique, Mr. Dressup et son mouton, et bien sûr, la première émission bilingue, Chez Hélène, avec Louise et la petite souris Suzy. En français, je ne manquais jamais la Souris verte et je connaissais d’ailleurs toutes ses chansons. Teuf, teuf, teuf, sur le Saint-Laurent, tous les matelots sont contents !

En fin d’après-midi, j’avais rendez-vous avec Bobino, Bobinette et ses fameux pétards à la farine. Le personnage de Télécino, qu’on ne voyait jamais, nous présentait des dessins animés : mon préféré était Sourissimo.

Puis, bien sûr il y a eu Marie Quatre-Poches, le Major Plum Pouding et le sergent Cassoulet, Fanfreluchequi plongeait dans son grand livre d’histoires, Grujot et Délicat à Saucissonville, Nic et Pic et la Ribouldingue. Pendant longtemps, j’ai voulu manger des patates en chocolat, comme Paillasson !

Juste avant l’heure du souper, je voyageais avec DaktariTarzan, ou j’imaginais le futur avec Perdus dans l’espace et Cosmos 1999.

Le mardi soir, si j’étais sage, je pouvais rester debout assez tard pour regarder Symphorien. Mon personnage préféré était Berthe Lespérance. J’entends encore les intonations de son interprète, la grande Janine Sutto.

Plus tard, nous avons eu le câble : quelle merveille ! De cinq postes, nous sommes passés à près d’une trentaine. Nous pouvions voir toutes les émissions de variété américaines.

Mais il fallait quand même beaucoup d’imagination pour entrer dans le monde de tous ces personnages en noir et blanc. Je me rappelle d’ailleurs être allée chez une amie et avoir déclenché son fou rire quand je me suis exclamée devant son appareil : « Mais, la robe de Picotine est rose ! » Pour moi, elle avait toujours été… grise ! En effet, nous avons probablement été une des dernières familles québécoises à se procurer une télé couleur. Mon père disait que nous passions déjà trop de temps devant le petit écran à regarder des sottises ; il n’était donc pas question qu’il encourage notre vice en nous achetant une télévision couleur. En 1976, nous traversions chez nos voisins pour suivre les jeux olympiques de Montréal : ils voyaient la vie en couleur eux !

Le cinéma pour les jeunes auditoires n’était pas vraiment développé à l’époque. Je me rappelle que mon père nous avait amenés, mon frère et moi, en salle au centre Laval pour voir sur grand écran Tintin et le temple du soleil puis le martien de Noël, un film québécois. C’était de grandes sorties pour nous.

Mais mon meilleur souvenir demeure le cinéma des scouts, le samedi après-midi. On recevait la publicité en classe, quelques jours avant. Il n’y avait pas de club vidéo à l’époque. Dans le gymnase de l’école Vaillancourt, Monsieur Noiseux, le chef de la troupe scout plaçait les grandes bobines de film sur les bras du projecteur et l’espace d’un après-midi, assis sur une petite chaise droite en bois, nous plongions, mes amis et moi, dans l’univers de de Walt Disney, avec Blanche-Neige, Cendrillon et Pinocchio. Il y avait aussi les «vrais» films comme Batman, Les aventures d’un amour de coccinelleL’espion aux pattes de velours et Chitty Chitty Bang Bang. C’est aussi là que j’ai vu La mélodie du bonheur pour la première fois. À l’entracte, pendant qu’on changeait les bobines, j’allais m’acheter des croustilles au vinaigre avec un Coke. Quel bonheur !

De Rintintin à Sol et Gobelet, des Beaux-Dimanches et Quelle Famille jusqu’aux émissions de variété américaines comme le Donny and Marie Show du vendredi soir, le petit et le grand écrans ont marqué ma jeunesse, ils m’ont fait voyager, rêver, rire et pleurer. Avec eux, j’ai appris et j’ai grandi. Je suis, véritablement, une enfant de la télé.

Lumière de Noël

Notre imagination commençait à être stimulée dès le mois de novembre. Entre nos émissions de télévision, des annonces publicitaires nous faisaient saliver en nous présentant des jouets de rêve. Puis, mon frère et moi épluchions les catalogues des grands magasins pour encercler les images des objets convoités. Nous faisions notre liste au Père Noël, fortement influencés par toute cette publicité.Light Bright, un jeu plein de lumières, Etch a sketch, le Baril de singes, le four Easy Bake, les jeux TroubleOpérationClue, le jeu où il fallait faire sauter les fourmis dans la salopette en plastique, les Hot Wheels ; bien sûr, ce qui attirait mon attention, c’était  Barbie et son auto, sa roulotte, son motorisé. Il y avait aussi la poupée dont les cheveux allongeaient, la poupée qui buvait et mangeait, la poupée qui parlait. Parfois, c’était la photo d’une paire de patins ou d’une luge qui nous faisait rêver.

Chez nous, les préparatifs pour Noël commençaient toujours avec mon anniversaire. On installait le sapin et les décorations juste à temps pour le 10 décembre. Sous le sapin, il y avait la crèche avec les personnages en plastique. Jusque dans la nuit du 24 décembre. Marie et Joseph s’exclamaient devant un faux tas de paille vide, car on cachait le petit Jésus qui n’était pas encore né.

Je me rappelle les dessins faits de neige artificielle dans les vitres et les lumières multicolores qui ornaient la grande fenêtre du salon. Il y avait aussi notre vrai sapin devant la maison dans lequel mes parents installaient entre 10 et 20 jeux de lumières. Une fois allumé, il était tout simplement féérique et on le voyait de loin, de l'autre bout de la rue.

À l’école, nous faisions le compte à rebours avant le congé des fêtes. Nous apportions notre boîte de conserve pour les pauvres, nous faisions notre bricolage que nous allions offrir en cadeau à nos parents, nous allions dans le gymnase nous asseoir en rang sur le sol pour écouter le concert de Noël. Je lisais à nouveau mon conte de Noël préféré, La petite fille aux allumettes. La dernière journée avant les vacances, nous apportions un petit cadeau pour notre enseignante. Il régnait une fébrilité dans l’air et nous nous promettions de faire de belles activités entre amis pendant les vacances des fêtes : rendez-vous sur la patinoire, glissades, construction de forts dans la neige.

J’ai de beaux souvenirs de Noël, particulièrement des réveillons en famille, la musique, les visages rayonnants, les odeurs, les lumières. C’était magique. Plus petite, le 24 au soir, je devais aller me coucher en laissant un verre de 7-Up et des biscuits sur la table à café du salon, pour le Père Noël bien sûr. J’étais trop excitée pour dormir, mais la menace que le vieux «snoro» ne viendrait pas si j’avais les yeux ouverts avait raison de ma résistance. Je les gardais donc bien fermés et je finissais par céder au sommeil. Une fois minuit passé, on venait nous réveiller, mon frère et moi, et les yeux brillants, nous trouvions les cadeaux tout bien emballés qui couvraient le plancher du salon.  J’ai longtemps cru au Père Noël. Il est vrai qu’au moment où j'ai commencé à douter, une certaine nuit du 25 décembre, j’ai l’ai vu, je le jure, le vrai Père Noël se promenant dans les rues de Fabreville, avec sa poche de cadeaux sur son épaule. Quelques années plus tard, je contribuais à garder la légende du Père Noël et de ses lutins bien vivante pour ma petite sœur Nathalie.

Un peu plus vieux, la veille de Noël, nous revêtions nos beaux vêtements et nous allions à la messe de 22 heures en famille. Il fallait arriver tôt, presqu’une heure d’avance, pour être certains d’avoir des places assises parce que tout le monde devenait pratiquant à Noël. Le curé était si heureux de voir autant de paroissiens ce soir-là. Il passait toujours un petit commentaire à cet effet. Nous chantions les airs traditionnels avec la chorale, nous écoutions l’histoire de la nativité selon l’évangile de Saint-Luc et l’un d’entre nous finissait par se plaindre qu’il faisait chaud avec nos manteaux et nos chapeaux ou que la messe était trop longue. De retour à la maison, nous attendions le coup de minuit avec impatience pour nous souhaiter joyeux Noël, mettre le petit Jésus dans la crèche et commencer à ouvrir les présents. Il y avait un rituel que nous devions suivre : les cadeaux étaient distribués un à la fois et nous attendions de voir ce que chaque personne avait reçu avant qu’une autre surprise puisse être déballée. Une fois le dépouillement de l’arbre terminé, nous nous installions à table pour manger un bon repas et mettre nos estomacs à l’épreuve.

Pour nous, Noël était un mélange de traditions québécoises et anglaises. Nous écoutions les chansons de Noël en anglais. Nous regardions les émissions spéciales à la télévision américaine ou sur CBC. Ma mère préparait ses tourtières, la dinde, ses rosettes, mais aussi ses buttertarts, les mincemeat pies et le plum pudding flambé, nappé de sauce anglaise. 

Sur la table,  il y avait les pétards de Noël qu'on faisait éclater en tirant sur une languette de carton.Ils comprenaient quelques surprises incluant un ridicule chapeau en papier de soie de couleur que nous mettions sur notre tête pour la bonne forme. Certaines années, d’autres personnes se sont jointes à nous pour le réveillon : Marcel et Irène, des amis de mes parents, ma grand-mère Rita, l’aumônier du Mont-St-Louis, Pierre. Je me rappelle de la fois où nous avions invité les Fortin à fêter avec nous. Le père, Jean-Yves était en grève depuis plusieurs mois, et nous ne voulions pas que leur Noël soit triste. Le partage fait partie des grandes valeurs de cette fête.

Cette année, je célébrerai mon cinquante-huitième réveillon de Noël. Certaines traditions de mon enfance se sont perpétuées, d’autres ont été oubliées. Pour moi, le temps des fêtes, c’est un moment privilégié où je fais une pause pour réfléchir à la chance que j’ai d’être en santé, d’avoir un conjoint si aimant et complice, de beaux enfants intelligents qui ont de belles valeurs, une famille et des amis qui m’entourent et qui m’aiment même si c’est parfois de loin, d’avoir un travail qui me permet de me réaliser. Finalement, le reste est tellement futile. Je m’arrête donc et je prends le temps de faire défiler dans ma tête des images des douze derniers mois : les moments de grand bonheur, les petites tristesses, les fiertés, les belles amitiés, les départs, les frustrations, les déceptions et les douces célébrations. C’est la vie.  Et c'est ainsi que, malgré la noirceur de décembre et du solstice d’hiver, je garde, à chaque Noël, dans mes yeux et mon cœur, une belle lumière.

Le paradis à la fin de vos jours

Je danse avec ma cousine Brigitte, mon frère et ma grand-mère, une veille de jour de l'an

Je danse avec ma cousine Brigitte, mon frère et ma grand-mère, une veille de jour de l'an

Le jour de l’an était toujours un moment magique de l’année pour moi. Certes, il n’y avait pas d’échange de cadeaux, ni de chants, mais les partys étaient vraiment plus amusants qu’à Noël.

La veille du jour de l’an, nous allions souvent à St-Constant, chez tante Michelle, qui était en fait la cousine de ma mère. Elle et son mari René avaient quatre enfants dont une fille de mon âge, Brigitte, avec qui je m’entendais si bien.  Tante Michelle et oncle René savaient faire la fête. On mangeait un morceau, puis on descendait au sous-sol. Le tourne-disque ne chômait pas de la soirée. Tout le  monde dansait, toutes générations confondues :  du disco, du rock and roll, le twist, des  valses et des chachas, et bien sûr les fameux sets carrés. À cause de sa voix de ténor, mon père était celui qui criait les instructions : «et un p’tit tour par en avant, un p’tit tour par arrière, et au suivant et swinguez votre compagnie…» Une année, Brigitte et moi avions exécuté une petite chorégraphie sur la chanson de Michel Stax, Oh ma Lili, dites-moi oui . Il fallait lever la jambe très haut. J’étais une touche plus svelte et gracieuse à l’époque. Entre deux danses, nous chantions des airs plus tranquilles : On prend toujours un train, de Bécaud, Le téléphone pleure, de Claude François, Devant le Juke-Box. de Guy Boucher et Ginette Sage.

Ces veillées finissaient très tard dans la nuit. Je m’y amusais comme une princesse au bal. J’adorais les partys chez tante Michelle et je suis définitivement nostalgique quand je songe à ces belles réunions familiales de l’époque.

Peu importe l’heure à laquelle nous allions au lit dans la nuit, rien ne pouvait nous empêcher d’aller chez mes arrières-grands-parents Girard le matin du premier de l’an.

Ils demeuraient dans un logement de la rue Briand à Côte-St-Paul. Mon arrière grand-père Édouard ouvrait la porte et nous nous mettions tous à genoux pour recevoir sa bénédiction.  Nous enlevions nos bottes et alliions les porter dans le bain. Sur le lit de la chambre à coucher, il y avait une montagne de manteaux. Les nôtres allaient sur le dessus de la pile. Partout flottait une fumée bleuâtre à couper au couteau. C’est qu’on fumait à l’époque!

Mes arrières-grands-parents Girard avaient eu plus de 10 enfants. Avec toutes ces générations réunies, nous devions bien être plus d’une soixantaine dans le minuscule logement. Les femmes se retrouvaient principalement dans la cuisine et jasaient. Les tantes de ma mère passaient leurs commentaires : «C’est ta plus vieille? Mon doux, elle a donc grandi! Quel âge a-t-elle déjà? Ça pousse la mauvaise herbe, hein? » Les hommes fumaient et buvaient au salon. Et nous les enfants, nous faisions la navette entre les deux, tassés dans le corridor, nous arrêtant à l’occasion au buffet pour grignoter quelques carottes et branches de céleri. Il y a des petits-cousins que je ne voyais qu’une fois par année, et c’était là, au jour de l’an. Il y en a dont je ne connaissais même pas le prénom!

Après, nous allions chez mes grands-parents Brunette. Là aussi, c’était mon grand-père qui nous accueillait pour nous donner sa bénédiction. Il finissait toujours en nous souhaitant «le paradis à la fin de vos jours». Nous faisions le tour de la cuisine pour souhaiter une bonne année à mes oncles, mes tantes et mes cousins. Les discussions étaient toujours passionnées, souvent on se taquinait, on «se tirait la pipe».  

C’est ainsi que débutaient mes années à l’époque. Aujourd’hui,  mes grands-parents et mes arrières-grands-parents se trouvent au paradis. Tante Michelle et oncle René aussi, tous deux emportés trop jeunes par un cancer.

Je ne suis pas pressée d'y être, mais j’espère pour eux que les partys du Jour de l’an sont aussi amusants là-haut!

Les animaux

C’est le matin et un cri perçant émane de la cuisine. Ma mère a versé tout le contenu de la boîte de Corn Flakes dans l’évier. Elle croit avoir vu un rat se prélasser dans les céréales.

Un rat ? Une souris ? Ni un ni l’autre. C’était tout simplement Arthur.

Arthur était une réplique de phoque d’environ 8 centimètres de long, en fourrure. C’était un jouet que mon frère avait reçu en cadeau de notre petit cousin Guy qui était allé en mission avec l’armée à Frobisher Bay.

Charles avait tout simplement glissé son petit phoque dans la boîte un certain matin et l’avait oublié là… jusqu’à ce moment fatidique.

Comme la majorité des enfants, nous avons  souvent exprimé le désir d’avoir un chien ou un chat. Et donc, outre les animaux en peluche comme Arthur, nous avons adopté quelques animaux de compagnie au fil des ans.

Avec mon chien Pilou.

Avec mon chien Pilou.

Le premier que nous avons eu était un épagneul noir que nous avions nommé Cookie.  Mon père l’avait acheté dans une animalerie haut de gamme de Montréal. Le chiot était adorable, mais fort nerveux. Avec deux enfants de moins de 3 ans qui lui couraient après sans relâche, qui lui tiraient les oreilles et essayaient de lui attraper la queue, il fut sur le point de devenir fou au bout de quelques jours. Mes parents eurent pitié de Cookie : ils décrétèrent que nous étions trop jeunes, mon frère et moi, pour avoir un chien et de plus, l'animal était lui même comme un troisième enfant. Ma mère en avait assez : le chiot fut retourné.

Quelques années plus tard, nous avons hérité de Poncho, un chat siamois. C’était vraiment un superbe félin qui sautait et grimpait partout, à la vitesse de l’éclair. Poncho était un chat d’intérieur et il ne demandait pas trop d’attention. Toutefois, je me rappelle qu’un jour, il est allé explorer la cave où mon père avait laissé des pinceaux tremper dans du dissolvant à peinture.  Il s’est hélas mis les pattes au mauvais endroit.  Ma mère avait appelé un vétérinaire pour savoir ce qu’elle devait faire. «Il faut rapidement lui donner un bain» avait répondu le vétérinaire. Il ne fallait surtout pas le laisser se lécher les pattes. Facile à dire, mais avez-vous déjà essayé de mettre un chat dans un bain ? Aussi bien tenter de mettre le diable dans l’eau bénite ! Ma mère a eu droit à des coups de griffe, à des miaulements de protestation et des contorsions violentes de la part du chat.  À part cela, Poncho était un animal relativement ennuyeux. Son séjour chez nous s’est terminé avec la naissance éminente de ma petite sœur Nathalie : ma mère avait appris que les Siamois pouvaient être particulièrement jaloux lorsqu’un bébé faisait son arrivée dans une maison et elle ne voulait pas prendre de chance.

Nous avons ensuite eu un aquarium avec des poissons.  Je ne me souviens pas très bien qui avait eu cette idée «géniale» au départ. Nous avions acheté des poissons «guppy» au Miracle Mart que le vendeur avait mis dans des sacs en plastique transparent. Plus tard, nous avons acheté un poisson «nettoyeur» et un escargot. Un jour, une maman guppy a eu des bébés, mais peu ont survécu. Je crois que le poisson nettoyeur les a mangé. Ma mère lavait l’aquarium et changeait l’eau régulièrement, ce qu’elle détestait, car il fallait au préalable enlever les poissons avec une puisette et les transférer dans un autre bocal. Je ne peux pas dire que je l’enviais dans cette tâche. Les choses qui frétillent, très peu pour moi merci ! Et un jour, ma mère en a eu assez de laver l’aquarium. Ce fut la fin des poissons.

J’avais neuf ans quand nous avons fait une deuxième tentative avec un chien. Mon amie Michelle, une de mes camarades de classe avait une chienne, un superbe Husky blanc, qui avait mis bas quelques semaines auparavant. Elle avait eu une portée d’adorables chiots qui étaient maintenant sevrés et qu’elle était prête à donner.  Elle nous montre l’un d’entre eux et je fonds littéralement pour l’adorable petite bête qui est de couleur sable, et qui a le bout des pattes et la queue blancs. Un croisement avec un Labrador. Discussion sérieuse en famille au souper, les trois enfants font front commun. Nous voulons ce chien et nous allons nous en occuper.

C’est ainsi que Pilou a fait son entrée chez nous.  La première nuit, il a hurlé et pleuré pendant des heures. Mes parents avaient placé une table  de travers à l’entrée de la cuisine pour faire une barrière et empêcher Pilou de se promener partout, et risquer qu’il fasse ses besoins sur le beau tapis vert olive. Les nuits d’après, il s’était résigné à dormir seul dans la cuisine, sans pleurer. C’était un chien intelligent, enjoué et affectueux. Il n’avait qu’un seul défaut : son bagage génétique. En effet, Pilou grandissait et grossissait à vue d’œil et si on se fiait à la taille de ses parents, Huskey et Labrador, il ne serait pas un petit toutou de maison. Un détail auquel personne n’avait réfléchi. Ma mère ne voyait pas d’un très bon œil le fait d’avoir un gros chien dans sa maison. Et nous dûmes dire aurevoir à Pilou.

En 1977, pour mon anniversaire, j’ai demandé un chien comme cadeau. Cette fois, j’avais fait des recherches. Les Lhassa Apso étaient des chiens de compagnie de petite taille qui ne perdaient pas leur poil et qui étaient facile à dresser.  Plus facile de convaincre les parents ainsi. Et comme ce serait mon chien, j’allais m’en occuper.

Il est arrivé donc un certain après-midi de décembre, petite boule de poil beige pâle, tout emmailloté dans le col de fourrure de ma mère. Comme j’avais beaucoup de plaisir à apprendre l’espagnol cette année-là, j’ai décidé de l’appeler Chico.

Chico couchait au pied de mon lit. Parfois la nuit, si je bougeais trop à son goût, il allait faire un tour au pied du lit de ma sœur. Chico adorait faire des promenades et dès qu’il entendait le tiroir où était rangé sa laisse s’ouvrir, il bondissait de joie en jappant. Par contre l’hiver, quand il faisait trop froid, je devais le prendre dans mes bras pour finir la promenade parce que ses pattes gelaient.

Chico connaissait bien les limites de notre terrain et il savait qu’il ne devait pas s’aventurer au-delà. Il a bien tenté de faire quelques fugues d’un air innocent, particulièrement quand les voisins ont eu leur petite chienne, mais je l’ai vite rattrapé et il est revenu chaque fois avec un petit air piteux. Par ailleurs, Chico défendait son territoire avec vigilance. Un soir, il s’est attaqué à un berger allemand qui avait osé s’arrêter sur son terrain. C’est sa vitesse qui l’a sauvé car le berger allemand aurait pu lui casser la colonne vertébrale d’un coup de mâchoire. Il a aussi eu la bonne idée un certain soir d’été vers 23 heures de s’attaquer à une moufette. J’ai passé une partie de la nuit à le laver et essayer de le débarrasser de l’odeur nauséabonde.

Tout comme sa maîtresse, Chico avait le péché de gourmandise. Ma sœur l’a appris à ses dépends le jour où elle a laissé son assiette traîner sur une table du salon pour aller répondre au téléphone. Son dîner a disparu en moins de deux minutes. Le coupable s'en léchait les moustaches! Pour Chico, la nourriture de chien, c’était bon, mais c’était tellement meilleur nappé d’une petite sauce ou avec un os à steak…

Chico a été notre fidèle chien pendant dix ans. En 1987, j’ai dû le faire euthanasier. Il s’est endormi dans mes bras. Encore aujourd’hui, alors que j’écris ces lignes, je deviens émotive quand je repense à ce moment.

Je n’ai jamais eu d’animal de compagnie depuis. J’ai appris au fil de ces années que d’adopter un animal n’était pas une décision à prendre à la légère. Il faut d’abord choisir le bon compagnon. Il faut s’en occuper, il faut lui donner de l’attention, des soins, de l'affection et on ne peut pas l’abandonner pour un oui ou un non. On ne peut surtout pas le cacher et l’oublier au fond d’une boîte de céréales…

À 17 heures, à la fin de la période d’études, on nous transférait de salle pour aller attendre nos parents. Là, évidemment, nous avions le droit de parler et d’échanger entre nous, tout en jetant un coup d’œil par la fenêtre pour voir si notre «carrosse» était arrivé. Julie est moi étions souvent les dernières à partir. Nos pères finissaient leur travail tard et nous faisions souvent le pari sur laquelle des deux partirait la dernière. Si nous étions encore dans la salle après 18h, on nous apportait une pomme. Plus tard, des biscuits. Alors le lendemain, celle qui était partie la dernière disait à l’autre : «hier, je me suis rendue aux biscuits». Julie s’est déjà rendue à la soupe. C’est très tard. Personne d’autre ne s’est jamais rendu à la soupe…

Au fil des ans, nous avons partagé beaucoup de choses Julie et moi. Je suis allée à ses concerts, elle m’a invitée à son chalet à Mont-Rolland à plusieurs reprises, elle lisait les histoires que j’écrivais.  J’aimais l’écouter pratiquer son violon, je ne m’en lassais jamais. La petite musique de nuit, de Mozart, les concertos de Vivaldi… Mais ma pièce préférée, et elle le sait, c’est le Printemps de la Suite québécoise de Cousineau.

En secondaire 3, elle a dû se faire opérer pour sa colonne vertébrale et je suis allée la voir à l’hôpital Ste-Justine. Elle a été en convalescence longtemps. En secondaire 4, pour mon examen de français de fin d’année, ma production écrite s’intitulait «Le violon de Julie». J’y avais décrit la passion de mon amie pour la musique. J’avais eu une bonne note. Malheureusement, comme c’était un examen du Ministère, je n’ai jamais pu faire lire mon texte à mon amie par la suite.

Nous ne nous sommes jamais perdues de vue. Plus tard, nous allions au théâtre ensemble et quand elle a eu son école de musique, je suis devenue l’animatrice aux concerts de fin d’année de ses élèves. Elle a rencontré son amoureux grâce au violon. Je suis allée à son mariage, nous avons eu des enfants à peu près en même temps, nous avons partagé nos inquiétudes, nos peines, nos joies. Et même si aujourd’hui, je ne lui parle pas souvent, si le tourbillon fou de nos vies fait en sorte que nous ne nous voyons pas autant que nous le voudrions, je sais que Julie est là et elle sait qu’elle peut compter sur moi.

Récemment, elle a dû arrêter d’enseigner le violon. Son cou et son dos ne pouvaient plus le supporter, cela lui faisait trop mal. Elle a partagé sa passion de cet instrument avec des centaines d’enfants, incluant les siens.

Le violon de Julie ne s’est pas tu pour de bon. Il est seulement un peu plus tranquille.

Monsieur Populaire

Il y a des amitiés de passage qui sont déterminantes. Ces gens entrent dans notre vie, font un bout de chemin avec nous, changent notre façon de voir les choses ou sont tout simplement là pour nous faire du bien, pour faire une différence. Puis ils sortent de notre trajectoire pour emprunter une autre voie. Sans animosité. Parfois, avec un brin de regret.

Je l’ai vu pour la première fois sur le campus de mon école en Californie. C’était en octobre 1982, à la fin d’un rassemblement d’élèves dans le théâtre grec. Je l’ai aperçu et le temps s’est arrêté. Ce n’était pas un coup de foudre. C’était comme si je l’avais reconnu. C’était une sensation de déjà vu.

J’ai demandé à mes amies : «c’est qui ce gars, là-bas» ?

-«Oh», m’ont-elles répondue avec désinvolture. «C’est Monsieur Populaire».

-«Monsieur Populaire ? Pourquoi l’appelle-t-on ainsi ?»

-«Parce qu’il est populaire. Tout le monde aime Bob. Il est impliqué dans tout, il est partout. Il est l’ami de tout le monde. Des filles en particulier.»

Un tombeur ? Vraiment ? Pourtant, il ne donnait pas cette image. Bien sûr, il était le californien typique aux cheveux blonds et yeux bleus, la mâchoire carrée, mais il n’était pas très grand. Sportif, il faisait partie de l’équipe de course. Vraiment pas mon style. Mais il paraissait tout simplement sympathique. Gentil. Il avait l’air d’un bon gars. Un Bob.

Pourquoi avais-je la forte impression de le connaître ? Je n’avais aucun cours avec lui. Nous n’étions dans aucun des mêmes clubs sur le campus. Je ne le croisais jamais dans aucune des fêtes où j’allais : soit qu’il arrivait après moi ou il quittait avant que je n’arrive.

Certains de mes meilleurs amis étaient aussi les meilleurs amis de Bob. J’ai tenté de provoquer une rencontre : pourtant, en aucune circonstance pendant l’année scolaire n’ai-je pu lui parler, ou même me présenter. Effet du hasard… Les planètes n’étaient tout simplement pas alignées.

En février, je faisais un numéro de chant dans le cadre de la revue musicale de l’école. Mon ami Lars, un étudiant étranger d’Allemagne, vint me voir pour me féliciter.

«J’ai vraiment aimé ta chanson. J’étais avec Bob. Lui aussi a beaucoup apprécié ta prestation. Il dit être content de voir que tu n’es pas un fantôme.

-«Comment ça, un fantôme ?»

-«Il dit qu’il n’arrête pas d’entendre parler de toi, mais qu’il n’a jamais eu la chance de te voir ou de te parler».

Tiens donc ! La situation était assez comique.

L’année a passé. Puis est arrivé le jour de la remise des diplômes. Le soir-même, après la cérémonie, nous partions tous en autobus en direction de Disneyland pour y passer la nuit. En effet, Disney ouvrait son parc aux nouveaux diplômés de la Californie du sud à compter de minuit. C’était une grande fête.

Je suis donc montée dans l’autobus avec deux de mes amies. Je n’étais pas assise depuis dix secondes que j’ai entendu une voix dernière moi qui s’est exclamée : «On m’a parlé de cette Canadienne française toute l’année, et voilà que, le soir de la graduation, j’ai enfin la chance de la rencontrer.» C’était Bob.

Les présentations étaient enfin faites, la glace était brisée. Nous avons parlé à bâtons rompus tout le long du voyage. Il était drôle et vraiment très intéressant. J’avais le sentiment de retrouver un vieil ami.

Mais comme l’école était finie et que j’étais à deux semaines de mon retour au Québec, je croyais bien que cette nouvelle amitié serait de courte durée. Il est venu me voir à quelques reprises avant mon départ. «Je vais t’écrire», m’a-t-il dit. Bien des gens me faisaient cette promesse. Peu allaient la tenir.

Et pourtant, à mon retour à Montréal, une carte de Bob m’attendait. Et pendant des années, nous avons entretenu une correspondance assez régulière.

Bob est allé étudier à UCLA en anglais et en histoire, puis il a fait ses études supérieures à la prestigieuse université de Princeton, en relations internationales. Il a fait le tour de l’Europe. Puis il est allé au Japon. Dans les années 80, alors que le Sentier Lumineux faisait des siennes au Pérou, il est allé étudier à l’université de Lima pendant un an. Il en a profité pour visiter les pays voisins : le Chili, l’Argentine, la Bolivie. Il a bien sûr appris l’espagnol, mais il a surtout développé un amour profond pour les péruviens et une compréhension des enjeux politiques en Amérique latine. Il est allé en mission au Nicaragua pendant la guerre des Contras pour tenter de mieux comprendre le conflit contre les Sandinistes. Pendant les années Reagan,  il a été surveillé par le FBI et la CIA à cause de ses idées plutôt libérales et le choix de ses destinations de voyage. Bob, le méchant communiste ? Allons donc !

En 1988, il est parti étudier en Chine, à l’université de Beijing pendant un an. Il était sur la Place Tiananmen lors des manifestations étudiantes en 1989. Comme il parlait le mandarin, il servait d’interprète aux journalistes américains qui couvraient l’événement ;  d’ailleurs, il s’est lié d’amitié avec le grand Dan Rather. Il a visité des camps de réfugiés au Vietnam. Il est aussi allé passer un an à Nairobi au Kenya pour mieux connaître l’Afrique. Il a terminé son doctorat en relations internationales. Dans les années 90, il a fait son entrée à la Maison blanche en tant que conseiller spécial du président Clinton sur les dossiers africains, asiatiques et sud-américains.

Entre tout cela, Bob et moi poursuivions notre correspondance. Ses lettres étaient fascinantes, et ses réflexions sur le monde, pertinentes. Je l’ai revu aussi, chaque fois que je retournais en Californie pendant le temps des fêtes. J’aimais lui jouer des tours et il me le rendait bien. En 1986, alors que je vivais un moment difficile, il a pris l’avion pour venir à Montréal passer quelques jours avec moi. Il m’a fait rire, m’a changé les idées.  Il a rencontré mes amis ici et les a tous séduits. En décembre 1994, j’étais à New York pour mon travail et comme il y était de passage, nous sommes allés souper ensemble. Il m’a raconté ses amours difficiles, je lui ai parlé de ma vie au Québec, et comme toujours, ensemble, nous avons une fois de plus réinventé le monde. Il est revenu à Montréal en 2002 et a passé une soirée à la maison avec Chéri et moi. Il a eu un plaisir fou à essayer de communiquer avec mes enfants qui ne disaient pas un mot d’anglais.

On m’a souvent demandé si nous avions été amoureux, Bob et moi. En vérité, non, jamais. Bob était une âme sœur, comme une personne que j’aurais rencontrée dans une autre vie et qui vient me faire un clin d’œil de temps à autre dans cette vie-ci. Je comprenais son rêve de vouloir faire de la politique internationale pour changer le monde, car j’aurais en quelque sorte voulu avoir l’ambition de faire le même rêve. En fait, il me dirait que j’ai fait le même rêve, mais que j’ai tout simplement décidé de changer le monde autrement : en aidant les gens à avoir une éducation pour devenir de meilleurs citoyens.

Bob a été secrétaire général adjoint de l’ONU pendant 10 ans. Il est marié et a deux enfants. Récemment, il a accepté un poste de doyen d’une prestigieuse université.

La dernière fois que je lui ai parlé, c’était en 2009.  Les lettres et les courriels se font plutôt rares. Nos trajectoires respectives ont divergé. Monsieur Populaire est devenu Monsieur International. Maintenant, comme jadis, ce sont nos amis communs qui me parlent de lui. Il est sorti de ma vie comme il y est entré. Mais malgré tout, je demeure convaincue que si nous devions nous retrouver, que ce soit dans cette vie-ci ou dans une autre, nous reprendrions notre conversation là où nous l’avons laissée, comme deux vieux amis.

Note : J'ai revu Bob en août 2022, à l'occasion du conventum de notre high school à Santa Barbara, en Californie. Il est toujours doyen et professeur à l'université du Maryland et il travaille également pour l'ONU, notamment sur des dossiers environnementaux. Bavarder avec lui est toujours aussi intéressant.

Chez nous

Quand je puise dans mes souvenirs, je vois d’abord des murs d’un rose très pâle et des rideaux rouges. Sur la commode blanche, une lampe en forme d’éléphant produisait un joli éclairage, et une doudou avec une bordure en satin recouvrait mon petit lit.  Plus tard, les murs ont été couverts d’une tapisserie fleurie, dans les tons de bleu et de violet. Ensuite, vers le milieu des années 1970, mon décor s’est transformé en jaune et tangerine avec, comme thème, de belles grosses marguerites. Mon refuge. Ma chambre. Celle que j’ai partagée pendant de nombreuses années avec ma petite sœur. L’endroit où j’ai passé tant d’heures à étudier, à réfléchir, à gratter ma guitare en chantant, à écrire mes histoires, à dévorer des livres. Je lisais même parfois à la noirceur, jusque tard dans la soirée, à l’insu de mes parents, les pages tournées vers la lumière du passage. C’est dans ma chambre que j’ai laissé libre cours à mon imagination, où j’ai élaboré mille projets et aussi fait mes premiers cauchemars. La nuit, je croyais voir des personnages bizarres dans mon placard ou derrière la porte. Il y avait aussi les monstres cachés sous mon matelas : pendant longtemps d’ailleurs, par crainte que quelque chose ou quelqu’un m’attrape par les pieds, je prenais un élan pour faire un saut olympique jusque dans mon lit. Au vacarme que je faisais en atterrissant sur mon matelas, ma mère criait inévitablement : «arrête, tu vas finir par défoncer le sommier».

 De ma chambre, j’avais vue sur la cour et les cabanons des voisins. Mais comme ma fenêtre faisait face à l’ouest, j’avais droit aux plus spectaculaires couchers de soleil, particulièrement l’hiver, en fin d’après-midi : entre les branches dénudées des arbres, le ciel se teintait de mille couleurs et sur les toits des maisons environnantes, la neige prenait un ton bleuté. L’été, par la fenêtre ouverte, le lilas embaumait et j’entendais le chant des oiseaux, des cigales et des criquets.

Notre maison à Fabreville était un bungalow typique de la banlieue des années 1960 : un bloc rectangulaire aux quatre côtés briquetés, avec une galerie et un solage que ma mère avait fait peindre en blanc. Située à quelques pas de l’école primaire, on la repérait aisément grâce à un immense sapin qui se dressait fièrement sur le terrain avant. Dans la cour, il y avait une butte à mi-terrain. L’hiver, nous y glissions sur notre traîne-sauvage ou nos «crazy-carpet». Une année, nous avons même chaussé nos skis à quelques reprises pour dévaler la pente que nous avions baptisée, pour l’occasion, le «Mont Brunette».

En entrant dans la maison par la porte principale, on arrivait directement dans le salon. Pendant plusieurs années, le plancher a été recouvert d’un superbe tapis vert olive et les murs revêtaient un beau jaune «gold» à la mode du temps. Pour nous, les enfants, le salon était notre salle de jeu. Un immense appareil de télévision en noir et blanc, avec ses oreilles de lapin, y trônait dans un coin, bien sûr, et entre deux émissions, nous bâtissions des cabanes avec des couvertures, nous dansions sur les tables, comme dans l’émission «Jeunesse d’aujourd’hui»,  ou nous tirions sur nos bas pour qu’ils deviennent des palmes et, du divan, notre «bateau», nous nous jetions par terre comme des hommes-grenouilles dans la mer. Quand j’étais toute petite, on y trouvait aussi un gros tourne-disque dont le fonctionnement m’intriguait au plus haut point. Ma mère vaquait à ses occupations sur les airs de Pétula Clark, Connie Francis et de Gilbert Bécaud. Nous avions aussi un «33 tours» de Noël de l’organiste Lucien Hétu qui, invariablement, tournait pendant que nous installions les décorations dans le sapin argent, au début de décembre.

Derrière le salon, il y avait la cuisine construite en forme de «L» inversé et qui a changé maintes fois de style, selon les humeurs de ma mère : contemporain, colonial, moderne… S’il n’y avait pratiquement pas d’espace-comptoir, notre cuisine était dotée d’un évier double en porcelaine sis entre le réfrigérateur et la cuisinière, et d’un énorme garde-manger dans lequel nous, les enfants, grimpions pour prendre des biscuits ou les boîtes de céréales, rangés sur la dernière étagère, tout en haut. La cuisine, c’était définitivement le cœur de la maison, notre lieu de rassemblement familial. 

De l’autre côté, il y avait le passage menant aux trois chambres à coucher : celle des parents, celle des filles, et celle de mon frère. Et une seule, minuscule salle de bain dont le plancher était couvert de petites pièces de céramique turquoise en forme de bulles, disposées en mosaïque. Comme c’était courant à l’époque, nous étions cinq à partager une même salle de bain… On avait intérêt à être rapide !

Pour nous, le sous-sol s’appelait la «cave». Le plancher était en ciment, et il n’y avait qu’une division en «deux par quatre» qui partageait la grande pièce en deux. Nous y entreposions tout ce qui n’était pas utile, au point parfois d’en oublier jouets, outils et autres bricoles, ce qui la plupart du temps faisait de notre cave, un joyeux bric-à-brac. À intervalles réguliers, mes parents se fâchaient et faisaient le gros ménage : à peu près tout se retrouvait au bord de la rue pour le passage des vidangeurs. Avant que nous ayons un sèche-linge, ma mère, l’hiver, y suspendait les vêtements, les serviettes et les draps sur des cordes attachées aux planches du plafond. Le linge devenait tout raide. De l’autre côté, il y avait la fournaise qui faisait un bruit apeurant quand elle démarrait, et les réservoirs à huile et à eau chaude. Je me rappelle qu’au jour de l’an 1976, nous avions fait un party dans la cave. Pour recevoir la parenté et les amis, nous avions recouvert les murs de papier sur lequel nous avions fait des dessins et mon père avait peinturé le plancher en vert forêt. D’un chic fou !

Les images de la maison de mon enfance sont très précises dans ma mémoire : la texture des rideaux, les motifs des douillettes sur nos lits, le style des meubles, des lampes, les tuiles de la cuisine. Je me rappelle des odeurs, des bruits. Notre maison ne ressemblait en rien à un palais, mais c’était chez nous, un endroit où nous pouvions jouer sans retenue, rire, nous disputer et où les amis, les nôtres comme ceux de nos parents, étaient toujours les bienvenus.  J’y suis arrivée en 1965, alors que je n’étais âgée que de quelques mois. Nous l’avons vendue en février 1987 et l’avons quittée pour de bon. C'est toute mon enfance que j'y ai laissée.

Je suis passée devant à quelques reprises depuis. Pour la montrer à mes enfants. Pour voir ce qu’elle était devenue. Le sapin a été abattu. Le terrain est maintenant clôturé. Nul doute que l’intérieur a changé.
Le 516 Hugues n’est plus mon chez moi.  Mais il fait partie de mes beaux souvenirs.

Développement personnel

Il est, je suppose, de bon usage de faire découvrir à nos enfants leurs talents et intérêts par le biais de cours de toutes sortes, outre ceux suivis dans le contexte scolaire. Mes enfants n’y ont pas échappé : mon fils m’a récemment rappelé les cours de musique auxquels je l’avais inscrit pour l’aider au point de vue concentration. Ma fille a suivi des cours de ballet pendant trois ans. Club de soccer, troupe de scouts, cours de théâtre, cours de natation, club de football… Pour les parents de banlieue que nous sommes, cela représente beaucoup de kilométrage en auto ! Il faut aussi penser aux heures de pratique à la maison, aux encouragements, aux frais supplémentaires, tout cela pour le développement personnel de nos enfants-prodiges.

Mes parents sont passés par là avant moi. Ils nous ont trimballés d’un cours de judo à un camp de Jeannettes en passant par un match de soccer ou de hockey.

J’ai effectivement suivi une ribambelle de cours lorsque j’étais enfant.  Alors que j’étais en première année, j’ai commencé à suivre des cours de natation. Le samedi matin, j’allais au coin des rues Hugues et Edgar pour attendre l’autobus scolaire qui allait m’amener à la piscine intérieure du Mont de La Salle. Je trouvais le trajet bien long. Je me rappelle la salle des casiers où il fallait se changer, l’odeur de chlore qui me prenait à la gorge, le casque de bain dans lequel je devrais cacher ma tignasse, la douche froide où il fallait passer avant de sauter dans la piscine. Les deux premières années, j’aimais bien mes cours. J’apprenais et pratiquais les techniques du «crawl», du dos, de la brasse. Mais la troisième année, les cours avaient lieu à l’école Poly-Jeunesse. Le trajet était moins long, mais je suis tombée sur un instructeur bête qui nous faisait faire des longueurs tout le long du cours. Il me terrorisait. J’ai commencé à en être malade, car toute jeune, quand j’étais stressée, je vomissais partout. J’ai arrêté les cours de natation et j’ai recouvré la santé.

Une année, mes parents m’ont inscrite à des cours de tricot. Je suppose que j’ai dû manifester un intérêt, peut-être parce que mon amie Chantal s’y était aussi inscrite. Mais en bonne gauchère, j’avais de la difficulté à suivre les instructions et je n’étais pas particulièrement patiente ni douée pour tricoter foulards, chapeaux et pantoufles. C’était souvent ma mère qui finissait mes projets pendant la semaine. Je me rappelle quand même d’avoir réussi à faire par moi-même un couvre-rouleau de papier de toilette dans les tons de rose et mauve. Quelle fierté !

Au fil des ans, j’ai suivi des cours de musique : flûte à bec et guitare. J’aurais aimé apprendre à jouer du piano, mais nous n’avions pas de piano à la maison pour que je puisse pratiquer. J’aimais jouer des instruments, j’avais une bonne oreille et je ne rechignais jamais à pratiquer. La première pièce que j’ai apprise à la flûte était le Tournesol. Sol, sol, la, si. Évidemment, je ne me rendais pas compte du son agressant que je produisais avec cet instrument. J’ai compris trente ans plus tard, quand mon fils m’a fait subir le même son horrible pendant ses heures de pratique. Heureusement pour mes parents, je suis ensuite passée à la guitare classique. Ils m’avaient d’abord acheté une guitare pour gauchère, mais nous avons dû l’échanger pour une droitière la semaine d’après. Mon enseignante ne pouvait pas m’enseigner «à l’envers». J’ai peut-être raté une grande carrière de guitariste à cause de cela… N’empêche que ma guitare m’a suivie jusqu’en Californie et qu’à l’occasion, encore aujourd’hui, je la sors de son étui pour jouer quelques accords.

J’ai aussi fait partie de nombre de chorales et j’ai longtemps chanté. Mais si j’étais douée en musique, il n’en était pas de même en danse. À la fin du primaire, j’ai suivi, pendant deux ans, des cours d’expression corporelle. Toutes les filles de l’école faisait partie de la troupe, alors je devais moi-aussi m’y joindre, évidemment. Sur des chansons de Michel Fugain, de Danielle Licari, nous apprenions des routines, des mouvements, des pas et des gestes en groupe. Je me rappelais sans problème des détails de chacune des chorégraphies, mais j’étais, hélas, aussi gracieuse qu’un éléphant de 3000 livres. Colette, l’enseignante, me plaçait au dernier rang en me disant que c’était parce que j’étais grande… Je crois surtout que c’était parce qu’elle voulait que je sois moins visible !

J’ai bien sûr fait du sport. Je n’étais pas particulièrement talentueuse, mais j’avais beaucoup de cœur et je donnais toujours le meilleur de moi-même. Alors que j’étais en 4e année, j’ai fait partie de l’équipe interscolaire de basketball et de hockey cosom. J’ai aussi joué au soccer: j’étais dans le club des Hirondelles et j’ai même gagné un trophée à la fin de la saison. Un certain hiver, j’ai suivi quelques cours de ski alpin, histoire de pouvoir dévaler les pentes sans me casser le cou. Le «style» est venu avec les années de pratique, pas avec les cours.

Au secondaire, je me suis jointe à une troupe de danse folklorique avec mon amie Julie. Mon père venait me reconduire de Fabreville jusqu’à Montréal sur le boul. Crémazie tous les vendredis soirs. J’étais dans mon élément, car les danses polonaises, roumaines et allemandes ne demandaient pas de grâce, mais plutôt d’être en forme : elles faisaient travailler le cardio.  Nous sortions du cours en sueurs.

Fait étonnant, j’ai aussi suivi des cours de charme et personnalité. On nous avait parlé des formes du visage, de maquillage, de soins, de maintien, de la façon de s’asseoir, de marcher, de bonnes manières à table. Je n’ai pas pris beaucoup de notes…  Et je n’aimais pas trop les filles du groupe que je trouvais un peu snobs et superficielles. À la fin, nous avions visité l’institut Édith Serei où des élèves nous avaient prodigué des soins du visage. C’était la partie positive du cours.

Tous ces cours ont-ils servi à quelque chose ? À mieux me connaître, probablement. À me faire bouger, à penser à autre chose qu’à mes études, à rencontrer des gens, à expérimenter pour que je puisse découvrir des intérêts, des talents et… relever des défis !

En secondaire 5, j’ai été co-auteure d’une pièce de théâtre dans laquelle j’ai aussi joué. Elle s’intitulait «Le miroir brisé». Dans la pièce, une comédie, un des personnages, Madeleine, faisait justement suivre des cours de toutes sortes à sa fille.

La pièce a été présentée dans l’auditorium de l’école pendant deux soirs et j’étais très nerveuse car une de mes collègues qui détenait aussi un rôle était la fille du journaliste Pierre Foglia. Il était dans l’auditoire pendant l’une des représentations et je craignais qu’il ne fasse une critique acerbe de notre pièce, démolissant ainsi mon rêve naissant de devenir auteure. Il n’en a rien fait, heureusement. Je ne suis pas devenue une grande écrivaine, mais je peux encore rêver. 

T'es laide, tu pues

Aujourd’hui, on parle beaucoup du problème de l’intimidation dans les écoles. Or, ce n’est pas un phénomène nouveau. L’intimidation, c’est pernicieux, c’est vicieux, c’est triste et… inacceptable. Et, malheureusement, ça existe depuis la nuit des temps.

Les enfants peuvent faire preuve de grande cruauté.

Je l’ai appris alors que j’étais très jeune.

J’étais en deuxième année. Une petite nouvelle est arrivée dans notre classe en plein automne. Elle s’appelait Louise. Elle aurait préféré faire une entrée en douce, sans tambour ni trompette, mais elle aurait été une extra terrestre qu’elle n’aurait pas attiré autant d’attention. Louise était handicapée et ne pouvait pas marcher.  Je n’ai jamais su la nature de son handicap, car pour moi, ce n’était vraiment pas important. Elle portait des harnais aux jambes et se déplaçait à l’aide de béquilles. C’était la première fois qu’elle intégrait une classe à notre école, et elle se faisait une joie de rencontrer des filles de son âge, d’avoir de véritables amies.

Dès les premiers jours, elle a été la cible de moqueries les plus méchantes. On ne s’intéressait pas à Louise, mais à son handicap. À défaut de comprendre, certains enfants la dénigraient. J’ai vu la tristesse dans son regard, la déception dans son visage. Je me suis mise à la défendre. À repousser ceux qui lui disaient des bêtises. Nous sommes devenues des amies. Nous avons parlé de ce que deux petites filles de 7 ans pouvaient parler. Elle avait des rêves, des histoires à me raconter, des folies à vivre. Son rire était contagieux.

L’intégration des enfants handicapés en classe régulière n’était pas un sujet à la mode de l’époque. Pourtant, Louise n’avait pas besoin d’adaptation particulière, outre le fait qu’elle était exemptée du cours d’éducation physique. Elle me demandait souvent de l’aider et je faisais de mon mieux pour lui donner un coup de main.
Je l'ai perdue de vue… Aujourd’hui, je me demande si l’école était à la hauteur de ses rêves.

Des mois plus tard, est arrivée Brigitte, une très grande rouquine à l’air espiègle. J’étais moi-même plus grande que la moyenne des élèves de mon année, mais Brigitte était encore plus grande que moi. Dégingandée, elle parlait sans arrêt d’une voix nasillarde et avait un rire bizarre. Les garçons se sont mis à l’étriver : ils riaient de sa chevelure cuivrée, de ses vêtements, de ses expressions.  Mais Brigitte était soupe au lait et s’est mise à réagir et à répondre, au grand bonheur de ses bourreaux qui rappliquaient pour la voir s’emporter davantage.  «Tu pues la grande» ou «qu’as-tu mangé pour être une girafe rouge ?» Tout se passait dans la cour, loin des oreilles des enseignantes. Brigitte était toujours la dernière choisie pour faire partie des équipes de sport, personne ne l’invitait à sauter à la corde dans la cour et les filles chuchotaient dans son dos. Je ne peux pas dire que j’avais des atomes crochus avec elle et je ne souhaitais pas particulièrement être son amie, mais je trouvais malheureux qu’elle soit isolée de la sorte. Elle a terminé l’année, mais elle a changé d’école l’année suivante.

Puis est arrivée Diane. Elle portait d’épaisses lunettes, avait de courts cheveux noirs,coupés au carré. C’était une fille extrêmement timide. La cible idéale pour les petits méchants. Les garçons ont repris leur manège : «Tu es laide. Pourquoi ne retournes-tu pas d’où tu viens ?» Elle baissait la tête et ne répondait pas. J’ai revu dans son visage cette même expression de douleur que celle que j’avais vue dans les yeux de mon amie Louise. J’aimais bien Diane. Elle était gentille et je n’avais pas envie de la voir se faire malmener ainsi. Je l’ai protégée, j’ai répliqué aux garçons qui lui disaient des bêtises, je suis même allée en parler à mon enseignante qui m’a promis qu’elle porterait davantage attention.  J’incluais Diane dans nos jeux à la récréation, je l’invitais à se mettre en équipe avec moi et mes amies pour des projets de classe, et je l’ai invitée chez moi certains soirs après l’école. Nous écoutions la télévision ensemble, faisions du bricolage, ou jouions à des jeux de société. Elle ne se livrait pas facilement, parlait rarement de sa famille et ne voulait pas que j’aille chez elle. «Il n’y a rien d’intéressant dans ma maison», disait-elle. Je savais que son père était boucher dans une petite épicerie.  Que sa famille n’avait pas beaucoup d’argent. C’est tout. Au fil du temps, j’ai compris qu’elle n’avait pas autant de chance que moi.

Diane aussi est partie l’année suivante. Elle est déménagée.

Avec tout ce qu’on entend sur la lutte à l’intimidation dans les écoles, je ne peux m’empêcher de me demander si Louise, Brigitte et Diane subiraient le même sort aujourd’hui. J’ose espérer que non. Mais je doute. Je le disais, les enfants peuvent être méchants. Certains, quand ils rencontrent quelqu’un de différent, ne cherchent pas à comprendre, ils attaquent, comme des petits requins. Vous me direz que bien des adultes sont comme cela également. C’est hélas vrai.

Je ne sais pas ce que ces trois filles sont devenues. Par contre, je suis persuadée que je suis devenue une meilleure personne parce que je les ai rencontrées. Grâce à elles, j’ai compris qu’il ne faut pas tolérer que des gens se fassent intimider par d’autres.  Encore moins les enfants. Pour cela, il faut faire preuve de jugement et de courage. Ëtre aux aguets, dénoncer et agir.

Note : j'ai récemment retracé Louise. Elle demeure à quelques kilomètres de chez moi (!) et se porte très bien. Elle gère une petite entreprise de toilettage d'animaux et se bat pour le droit des personnes à mobilité réduite. 

Grandir et changer

«Tout ce qui mérite d’être fait, mérite d’être bien fait.»

«Cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage. »

«If at first you don’t succeed, try, try, try again. »

Des phrases qui m’ont été dites et répétées. Des principes avec lesquels j’ai été élevée qui, encore aujourd’hui, me collent à l’esprit. Des principes que j’ai probablement transmis à mes enfants.

Chez nous, il n’était jamais question de bâcler quoi que ce soit. On ne nous demandait pas d’être parfaits, mais il fallait toujours donner le meilleur de nous-mêmes. Quand j’étais jeune, les études avaient priorité. Heureusement, j’ai toujours aimé l’école.  En fait, j’adorais l’école. J’aimais apprendre, j’aimais performer, j’aimais réussir.  Mes enseignantes et enseignants étaient mes modèles. Quand ils nous demandaient de participer à un projet ou de répondre à une question, j’étais une des premières à lever la main bien haute, prête à à m’investir. Mes parents étaient impliqués : ils m’aidaient avec mes devoirs et mes projets, ils allaient aux rencontres avec les enseignants, ils faisaient partie du comité de parents.

En première année, j’étais dans les «fusées vertes», la classe de Marie-Claude. J’ai appris à lire avec des phrases écrites en caractères d’imprimerie sur des bandes de carton qu’on affichait sur un grand tableau : «Luc va à l’école. Fido va avec lui.» La lecture est devenue une passion. J’ai commencé à déchiffrer les Tintin et les Astérix puis à lire la série Martine et les Comtesse de Ségur. À l’école, quand il y avait une occasion spéciale comme la St-Valentin, l’Halloween ou la Saint-Patrick et qu’il fallait participer en apportant des décorations ou en se déguisant, j’étais toujours partante.

En deuxième année, en sciences, alors que l’enseignante avait abordé le thème de l’électricité, elle avait brièvement mentionné qu’il serait amusant de créer une mascotte avec une ampoule électrique. Je me suis évidemment portée volontaire. Ma mère a sacrifié quelques heures le soir à coudre des vêtements pour la mascotte à partir de vieux rideaux et ainsi est née Électropoule.

Au «patinorama», une activité de levée de fonds, j’ai gagné un trophée pour avoir rapporté le plus gros montant. En quatrième année, j’ai participé à un concours d’écriture sur le thème de la préhistoire. J’avais composé l’histoire de Trompebeau le mammouth, et j’avais gagné le prix. J’avais été choisie pour faire partie des équipes interscolaires de basketball et de hockey cosom. J’avais souvent été sélectionnée pour participer à des projets spéciaux comme des spectacles de danse folklorique et un club de correspondance avec des élèves français.

Bref, j’étais impliquée partout et j’étais une chouchou de prof.

Et j’en étais peut-être exaspérante aussi.

Toutefois, jusqu’en quatrième année, j’ai quand même eu la chance d’avoir un cercle de bonnes amies. Nous faisions les travaux d’équipe ensemble. Dans le cours d’éducation physique, nous nous organisions pour faire partie de la même équipe. Nous nous retrouvions après l’école pour faire du vélo dans les rues de Fabreville, pour aller patiner, pour nous promener dans le bois, pour regarder la télévision ensemble ou tout simplement pour s’asseoir dans une balançoire et jaser.  À la récréation, nous nous retrouvions pour nous raconter des histoires, pour parler des garçons.

Il y avait Sylvie dont on disait qu’elle me ressemblait beaucoup. Elle avait effectivement une coupe chat comme moi, et ses yeux étaient de grandes billes brunes frangées de longs cils. Nous étions toutes les deux très expressives. Je me rappelle qu’une certaine année, nous avions préparé un sketch tiré du conte «Peau d’âne» ensemble et que nous faisions nos répétitions dans le sous-sol chez elle. Sylvie avait de la facilité à l’école et j’avais du plaisir à faire équipe avec elle, parce qu’elle s’investissait autant que moi dans les projets.

Danielle était très jolie. Elle avait les cheveux noirs et des yeux pétillants d’un brun ambré. Quand elle souriait de son air espiègle, deux adorables fossettes faisaient leur apparition aux coins de sa bouche.  Elle était la deuxième de trois sœurs, une enfant du milieu. Sportive, agile, elle faisait du patinage artistique pour lequel elle avait un talent indéniable.

Quant à Sonia, elle était carrément une beauté. Des cheveux châtains, longs et ondulés. Des yeux en amandes. Elle avait sur le nez quelques tâches de son. Tous les garçons du coin la voyaient dans leurs rêves. Timide, silencieuse, elle avait une voix toute douce et quand elle riait, une jolie rangée de petites dents blanches faisaient leur apparition. Elle courait à la vitesse de l’éclair et aux Olympiades à la fin de l’année, elle se distinguait par ses performances.

Lynne était aussi grande et élancée que moi. À une époque où la plupart des femmes restaient à la maison et s’occupaient des tâches ménagères, la mère de Lynne travaillait et ils avaient une femme de ménage, ce qui me fascinait. Lynne et moi avons été parmi les premières à mettre des bas de nylon plutôt que des collants à l’école. Nous en avions de toutes les couleurs.

Guylaine avait des cheveux frisés qui lui allaient jusqu’au bas du dos. Sa mère lui faisait souvent des nattes ce qui lui donnait une allure de garçon manqué. Elle avait une voix un peu rauque. Son surnom était Boubou. Guylaine était le bébé dans sa famille et je l’enviais parce qu’elle avait un grand frère qui venait à sa défense quand elle se faisait narguer.

Puis, en août 1975, mon petit univers s’est écroulé. Mes parents avaient été rencontrés par la direction de l’école. J’allais, avec sept de mes collègues, passer de la 4e à la 6e année du primaire. Autrement dit, nous «sautions» la cinquième année. Heureusement, j’allais retrouver Lynne, Sylvie et Guylaine avec moi. Mais pas Danielle et Sonia. Mon père m’a fortement recommandé d’attendre avant d’en parler avec mes amies. «Tu ne sais pas comment elles vont réagir… », m’avait-il dit.

Je l’ai vite su. Dès le lendemain, Danielle cognait à ma porte, les yeux pleins d’eau. «Est-ce vrai ? Est-ce vrai que vous allez en sixième année ? Pourquoi ? Vous vous pensez meilleures que nous autres ?»

Onde de choc. J’ai senti le sol glisser sous mes pieds. Non, je ne me croyais pas meilleure, je donnais seulement le meilleur de moi-même. J’ai perdu mon cercle d’amies. Sylvie et Guylaine étaient dans l’autre classe et je ne voyais que Lynne qui prenait ses distances. Mes nouveaux collègues de classe me disaient, méchamment : «tu vas voir, tu vas être obligée de refaire ta sixième année, tu ne seras pas capable de suivre».  Ceux et celles qui étaient en cinquième année m’évitaient dans la cour d’école. Pendant plusieurs semaines, je ne suis demandée comment j’allais survivre à cette année scolaire. Je me sentais exclue, malheureuse. J’ai appris à me taire, à me faire petite. Pour la première fois de ma vie, j’ai cherché à rester dans l’ombre. Pas question d’attirer l’attention. C’était fini le temps où je me portais volontaire pour des projets, où je levais la main d’un air enthousiaste espérant qu’on me choisisse. Je faisais ce que j’avais à faire, je répondais quand on me posait une question, je ne parlais surtout jamais de mes notes d’examen. Je voulais qu’on me laisse tranquille, qu’on oublie que j’étais là. J’ai réussi à me faire une nouvelle amie, Manon, avec qui j'ai pu faire des travaux d'équipe, j’ai eu d’excellents résultats scolaires, mais l’année m’a semblé longue et pénible. J’avais hâte de passer à autre chose.

Ce fut une belle leçon d’humilité. J’ai appris de cette année, j’ai grandi, mûri, changé. J’ai compris que c’était parfois nécessaire de fuir les projecteurs et de laisser les autres profiter de la lumière. Oui, je pouvais continuer à faire de mon mieux, mais ma satisfaction, je la puisais en-dedans de moi, je n’avais plus besoin de l’assentiment des autres. L’année avait été difficile socialement, mais j’avais été forte, j’avais été sage, j’avais gardé la tête hors de l’eau.  Je voulais maintenant tourner la page et tout recommencer. Une nouvelle Élaine était née.

C'est un beau roman, c'est une belle histoire...

Ah, quand on sent son coeur battre la chamade ! Comme la plupart des jeunes adolescentes de mon époque, j’ai eu mes coups de cœur pour des vedettes. Donny Osmond, Shawn Cassidy, Robert Ulrich ont peuplé quelques uns de mes rêves. Je ne détestais pas les sportifs non plus : le skieur Ken Read, le joueur de baseball Tim Wallach et le nageur Graham Smith.

Très jeune, je n’étais pas très intéressée par les garçons. En général, je les trouvais innocents, pour ne pas dire franchement idiots. En plus, comme j’étais grande et que je les dépassais presque tous d’au moins une tête, je les regardais littéralement de haut. Je n’aimais pas les frondeurs qui disaient des stupidités, les beaux-parleurs qui dérangeaient tout le temps en classe, les petits baveux qui se battaient dans la cour d’école pendant la récréation. La majorité d’entre eux ne savaient parler que de hockey quand ils ne disaient pas des imbécilités pour simplement attirer l’attention.

Bien sûr, il y a eu quelques exceptions. En première année, il y a eu le beau Martin. Il avait des cheveux bruns coupés à la «petit prince», comme René Simard, la vedette de l’heure. Il ne parlait pas beaucoup. Il était gentil avec les filles. Quand c’était le temps de se mettre en rang pour rentrer en classe, les filles dans une file et les garçons dans une autre, nous nous disputions la place à côté de Martin, pour pouvoir lui tenir la main. Plusieurs étaient folles de lui. Mais j’avais un avantage : il demeurait tout près de chez moi. Il passait souvent en vélo devant ma maison et s’arrêtait parfois pour me parler. Il avait un «bicycle» avec des poignées Mustang et un siège banane. Il avait installé des clignotants sur sa bécane ce que je trouvais assez chic merci…

Plus tard, il y a eu François. Il était aussi bon que moi à l’école… Bon, je vais l’admettre, je pense qu’il était meilleur que moi en classe, surtout en mathématique.  C’est peut-être la raison pour laquelle il attirait mon attention. Mais je le battais en composition, c'était certain. Il était tranquille, il n’étrivait pas les filles, et on pouvait avoir une conversation intelligente avec lui.

Ma sixième année a été difficile socialement. Je venais de sauter une année, je ne connaissais pas bien mes nouveaux camarades de classe et on me faisait parfois des commentaires dénigrants. Heureusement que mon voisin de pupitre, Carl, était là. Carl était un comique brillant. Il était aussi extrêmement gentil. Il a souvent pris ma défense quand d’autres ont voulu être méchants avec moi. En prime, il était grand, il me dépassait même de quelques centimètres. Détail à ne pas négliger !

Je suis allée dans une école secondaire fréquentée par des filles seulement et je peux honnêtement dire que ce furent cinq très belles années. Les garçons ne me manquaient pas. Je vivais dans une atmosphère de belle camaraderie et de complicité sans avoir à subir les immaturités de la gente masculine. Les beaux gars, ces vedettes dont on voyait les photos dans les revues ou sur des affiches qu’on collait dans nos casiers étaient agréables pour la vue, ils nous faisaient rêver et ils ne nous agaçaient pas.

Et puis, je me suis mise à écrire. Des histoires, des romans. Je noircissais quelques pages chaque soir et le lendemain, je les faisais lire à mes amies. Elles s’assoyaient les unes à côté des autres sur des bancs dans la salle de récréation et se passaient les feuilles mobiles. Dans mes romans, il y avait toujours le personnage du beau ténébreux, grand, timide, gentil, sportif. Bref, il était parfait. Mes fidèles lectrices en redemandaient. Un jour, j’ai fait mourir un de mes héros. Les filles se passaient les mouchoirs en plus des pages de mon œuvre. J’ai eu droit à un tollé de protestations. J’ai dû réécrire cette partie du roman. Il ne pouvait tout simplement pas mourir !

Pendant mon année en Californie, je suis devenue très populaire auprès des garçons. J’étais «the French girl».  Considérant que je n’avais pas le droit de conduire un véhicule là-bas et que le système de transport en commun est pour ainsi dire inexistant à Santa Barbara, c’était fort pratique d’avoir des chevaliers galants pour me déplacer là où je voulais. De plus, je commençais à trouver les garçons moins stupides.

Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai rencontré mon véritable héros, un grand timide, un entrepreneur brillant, amateur de vélo, pince-sans-rire qui sait rester discret et agit en véritable gentleman. J’écris mon roman d’amour avec lui depuis 1990…

Hymne au printemps

Il paraît que le printemps est la saison des amours. Qu’au printemps, les cigognes livrent les bébés. Et quand on vieillit, on dit qu’on a un printemps de plus…

Plus jeune, j’avais décidé qu’il y avait trois printemps.

Il y avait d’abord «le printemps de l’hiver qui ne veut plus finir». C’était cette fameuse période qui débutait vers la St-Patrick et allait jusqu’au début d’avril. Le temps se radoucissait, la neige commençait à fondre et à devenir noire, on commençait à voir l’asphalte dans la cour d’école et puis, tout à coup, une chute de neige nous rappelait à l’ordre. De la belle neige collante, gorgée d’eau. Ma mère disait souvent que, comme l’anniversaire de sa sœur Jane, ma tante qui demeurait aux Etats-Unis et qui était née un 21 mars, le printemps officiel, celui de l’équinoxe, ne pouvait faire autrement qu’arriver avec une bonne bordée de neige.

Je détestais la neige de mars. Les bancs de neige créés par les charrues de la ville étaient énormes et pesants ce qui rendait l’opération «pelletage», à laquelle je devais obligatoirement participer, fort désagréable. Et comme je savais qu’elle n’allait pas rester, qu’elle allait fondre dans une question de semaines, voire de jours, je trouvais bien injuste que Mère Nature ose recouvrir le paysage d’une autre couche blanche alors que ce dernier semblait en avoir bien assez du froid. Le gazouillis des oiseaux était momentanément interrompu, histoire de nous faire entendre encore une fois, comme un concert sinistre, le sifflement du vent et le son des pelles grattant les escaliers et les trottoirs.  Je me rappelle du fameux mois de mars 1971 quand la tempête du siècle a complètement paralysé Montréal. Mon père avait dormi au collège avec ses élèves, les autos dans notre rue avaient été ensevelies et des voisins en motoneige allaient de maison en maison pour s’assurer que nous ne manquions de rien et offrir d’aller au magasin acheter un pain ou du lait. Et quelques semaines plus tard, toute cette neige a fondu, comme par magie. Si par malheur la première pleine lune du printemps devait arriver très tôt, à la fin du mois de mars, nous savions qu’à Pâques, nous porterions bottes, chapeau et manteau d’hiver.

Il y avait ensuite la deuxième phase du printemps, le printemps du milieu, cette courte période pendant laquelle l’hiver se faisait véritablement chasser et pour de bon. Le mercure grimpait enfin bien au-dessus du point de congélation, du moins le jour. Le soleil dardait le sol de ses rayons de plus en plus puissants. La neige devenait granuleuse et on l’entendait craquer, fondre, s’effondrer. On apercevait un brin de gazon mouillé, on humait un parfum de terre humide. Je pestais parce que, malgré le temps plus doux, ma mère me forçait à garder mon accoutrement d’hiver pour aller à l’école : sauter à la corde avec son «suit de skidoo» et ses grosses bottes en caoutchouc, ce n’était vraiment pas évident. Je traînais mes bottes d’un pas paresseux sur les pavés et dans la gravelle. Évidemment, je ne contournais pas les flaques d’eau, ce qui faisait que je revenais souvent à la maison avec les pieds et les bas complètement détrempés. Comme pour me venger de l’hiver, je défiais l’autorité maternelle aussitôt la rue Edgar traversée : j’enlevais mon chapeau et le cachais dans mon sac. Quel sentiment de liberté!  En maternelle, on avait goûté à la tire d’étable. Notre enseignante avait fait bouillir le sirop et l’avait versé dans un bac rempli de neige. Quel délice! Les bernaches annonçaient leur retour en criant dans le ciel. Quand nous revenions de la bibliothèque de Laval-Ouest où nous étions abonnés, nous pouvions constater que la rivière des Mille-Ïles était sortie de son lit et que l'eau montait jusqu'au boulevard Ste-Rose, inondant les riverains qui se rendaient à leur maison en chaloupe. Certaines journées, quand il faisait particulièrement beau, je sortais vêtue d’un bon chandail, je m’installais sur une chaise dans la cour, et encerclée de vieille neige tenace, je dévorais un bon livre à l’air pur,  mon visage tourné vers la lumière. Quand Pâques était à la fin du mois d’avril, on pouvait se pavaner dans une belle robe neuve et de beaux souliers en cuir verni. Et puis un jour, on voyait les premières tiges de tulipe se pointer près du solage de la maison. Le dernier printemps faisait son entrée en scène.

Le dernier printemps revêtait les branches des arbres de bourgeons et de jeunes feuilles d’un beau vert tendre. Le pommetier de la voisine explosait de milliers de petites fleurs roses. On se hâtait de briser et de disperser avec une pelle les derniers tas de neige qui résistaient à la chaleur de mai parce qu’on voulait profiter de la longue fin de semaine de la fête de la Reine pour sortir les chaises de jardins, ouvrir la piscine et préparer la rocaille. On sortait les vélos et on se lançait à la conquête des rues du quartier, le coupe-vent ouvert, les cheveux en broussailles. Au début de juin, le lilas dans notre cour embaumait et j’en apportais toujours quelques branches à mon enseignante. À l’école, on pouvait enfin ouvrir les fenêtres. On savait que la fin de l’année scolaire approchait. Le dernier printemps allait tirer sa révérence et faire place à l’été.

Le printemps, c’était le renouveau, le réveil de la nature, la fin de la grisaille. Aujourd’hui qu’y a-t-il de différent ?

Rien. En fait, rien du tout. Mes trois printemps sont toujours là, ils reviennent chaque année, comme pour me narguer. Ils se ressemblent et me font vivre les mêmes émotions depuis plus de 50 ans. L’impatience, l’anticipation, le bonheur, la liberté.

Ah oui, j’oubliais… Il y a une différence : je n’ai, hélas, plus le même nombre de printemps.

Mais dans mon cœur je m'en vais composer
L'hymne au printemps pour celle qui m'a quitté

                                                                     -Félix Leclerc

Respect!

Je n’ai jamais eu la délicatesse d’une poupée de porcelaine. Ni la grâce d’une ballerine. En fait, plus jeune, j’étais une grande dégingandée, gauche et maladroite. Je n’ai jamais rien eu de calme et posé : j’étais une boule d’énergie. Je n’ai jamais eu une toute petite voix douce. En fait, le mot douceur est le dernier qu’on aurait utilisé pour me décrire. Je n’étais pas un garçon manqué : je portais des robes et des jupes et je consacrais énormément de temps à dompter ma tignasse qui, à mon grand malheur, frisait dans tous les sens.  Mais jusqu’à l’âge de 17 ans, je n’ai pas vraiment porté de maquillage et j’ai acheté mes premiers souliers à talons hauts à 18 ans. J’étais une fille sure d’elle, curieuse, un peu moqueuse, indépendante, performante, une fille qui fonçait dans la vie et à qui tous les rêves étaient permis.

On ne choisit pas son bagage génétique ni la condition sociale dans laquelle on naît. Moi, je suis née dans les années 1960 dans une province francophone. Je suis une fille, caucasienne, issue d’une famille de classe moyenne, catholique, élevée en banlieue par des parents pour qui l’éducation était une valeur sure. Si j’étais née à une autre époque, ou si j’avais été un garçon de race noire et que j’avais grandi en en Alabama, mon destin aurait été tout autre.

Petite fille, je ne savais pas à quel point j’étais privilégiée d’être née à une époque d’effervescence pour la femme : les années ‘60 et ‘70 ont amené la liberté sexuelle, le contrôle des grossesses, l’accès pour la femme à l’éducation supérieure et au marché du travail. À compter de 1981, nous allions garder notre nom de jeune fille et non prendre celui de notre mari.

En 1975, c’était l’année internationale de la femme. J’avais dix ans et je ne comprenais pas vraiment ce que «égalité entre l’homme et la femme» signifiait. Je me rappelle seulement les commentaires des gens autour de moi, les débats que cela soulevait pendant les rencontres familiales ou entre amis. «Pourquoi une année de la femme ? À quand l’année de l’homme ?»

J’étais au secondaire la première fois où j’ai véritablement pris part au débat féministe. Des filles avaient organisé une semaine de sensibilisation à la condition féminine. Les préjugés font mal et divisent. D’un côté, certaines élèves disaient que toutes les féministes étaient des lesbiennes frustrées, des «butch» qui avaient l’air de bucherons. De l’autre côté, il y avait celles qui disaient que les non-féministes ne se respectaient pas, qu’elles étaient des catins qui ne cherchaient qu’à plaire aux hommes et qui devenaient des objets sexuels. Comment expliquer et convaincre qu’entre ces deux extrémités, il y avait un spectre de nuances ? Qu’on pouvait être féministe et féminine ? Qu'une orientation sexuelle n'était pas un «look»? Que le féminisme, c’était d’abord une question de respect?

Je n’ai jamais ouvertement milité pour le droit des femmes ou participé à des démonstrations. Ma lutte a été plus discrète, mais assidue. C’est un combat de tous les jours que les femmes - et même les hommes - doivent mener afin de repousser les limites, de détruire des préjugés, de défendre des droits, de dénoncer les injustices et d’inculquer des valeurs. Aujourd’hui, quand on me demande s’il est encore nécessaire de célébrer la journée de la femme chaque huitième jour de mars, je m’étonne qu’on ose me poser la question. Oui, c’est vrai, le monde a changé : les femmes ont commencé à porter le pantalon au 20e siècle, elles ont obtenu le droit de vote – bien que plus tardivement au Québec que partout ailleurs. Les femmes d’aujourd’hui peuvent étudier, travailler, voyager, combattre dans l’armée, pratiquer tous les sports, même le hockey, exercer des métiers qui étaient traditionnellement réservés aux hommes. Elles peuvent décider d’avoir un enfant et de l’élever, seules. Elles peuvent même diriger un pays, se lancer en affaires et aller dans l’espace. Mais il y a encore du chemin à faire. Des mentalités à changer. Du respect à gagner.

Oui, malgré tout, il y a encore iniquité. Pourquoi cette peur avec laquelle les femmes sont toutes confrontées à un moment ou un autre et qui me rattrape encore le soir, lorsque je marche seule dans la rue ou dans une aire de stationnement ?  Pourquoi suis-je si inquiète quand ma fille va à une fête d’étudiants alors qu’il n’en est pas de même pour mon garçon ? Pourquoi encore aujourd’hui autant de femmes victimes de violence verbale et physique ? De harcèlement et d’abus sexuel ?

Combien de remarques déplacées ai-je entendues de la part de collègues masculins au travail ? Des rires gras, des sous-entendus, des injustices. J’en ai fait abstraction, j’ai ravalé, je me suis indignée et j’ai contre-attaqué. Je me rappelle d’un employeur, dans les années 90, qui avait tenté de connaître mon état civil avant de décider du montant de mon augmentation de salaire. Si je suis compétente, quelle différence cela fait-il, Monsieur le patron, que je sois mariée ou non, monoparentale ou sans enfant ?

Je n’ai pas demandé de naître femme. Je n'ai pas voulu passer ma vie à regarder à travers une lucarne pour n’apercevoir qu’un petit bout de ciel. Je veux explorer toutes les possibilités qui me sont offertes et découvrir le monde dans toutes ses dimensions.

Le 6 décembre 1989, elles sont quatorze à être tombées sous les balles, simplement parce qu’elles étaient des femmes qui avaient l’ambition d’étudier pour devenir ingénieures. J’étais dans mon appartement, en train de préparer mon repas du soir quand j’ai appris la nouvelle. Je me suis écroulée devant la télévision. J’étais évidemment sous le choc. Elles avaient sensiblement le même âge que moi. Je pensais que c’était l’œuvre d’un tueur fou isolé. Mais ce qui m’a révoltée le plus, c’est le lendemain, quand j’ai entendu certains commentaires dans les émissions de lignes ouvertes à la radio. «Elles l’ont cherché. Elles n’avaient qu’à faire des métiers de femmes. Elles n’avaient pas à prendre la place des hommes», disaient des auditeurs. J’étais estomaquée. Comment pouvait-on encore penser ainsi après un tel drame, exprimer si ouvertement son mépris envers les femmes, alors que nous étions à l’aube des années 90 et du 21e siècle ?

Ces jeunes femmes n’avaient voulu que prendre leur place.  Comme moi, elles croyaient qu’elles avaient le droit d’avoir des rêves, des ambitions, qu’elles pouvaient repousser leurs limites, prendre leur envol. On leur a coupé leurs ailes.

Égalité des sexes ? Non, égalité des chances. Et respect, oui,  s’il-vous-plaît, du respect. Pour moi, pour ma fille, pour toutes les femmes. Car avec tout ce que le monde a à offrir, pourquoi devrions-nous nous contenter de contempler un tout petit coin de ciel ?

Le violon de Julie

Au secondaire, tous les soirs après mes cours, j’allais dans la salle d’étude. Comme je covoiturais avec mon père qui venait me chercher après le travail, j’avais du temps devant moi, et il était logique que j’utilise ce temps à bon escient. J’en profitais donc pour faire mes devoirs.

La salle d’étude était une salle de classe banale au deuxième étage. En entrant, il fallait inscrire son nom sur une feuille avec son heure d’arrivée. Une religieuse, installée au pupitre de l’enseignante, faisait le guet. Nous avions intérêt à ne pas parler ou à ne pas faire de bruit car sinon, nous étions vite prévenues.

Entre deux devoirs, j'épiais mes collègues de la salle d’étude. Observer les gens et tenter de deviner leur histoire a toujours été une de mes manies : dans l’autobus ou le métro ou encore dans les parcs, je regarde les gens et j’imagine quel pourrait être leur quotidien. Dans ma tête, ils deviennent des personnages et je crée une histoire avec eux comme acteurs.

Nous n’étions pas nombreuses dans la salle, mais il y avait matière à imagination.

Il y avait cette grande de 5e secondaire, Sylvie, qui semblait tellement mature et à son affaire. Elle consultait ses livres et écrivait avec ferveur pendant deux heures, sans distraction. Je me rappelle de Stella aussi, une autre élève sur le point de finir son secondaire, mais qui était beaucoup plus volubile, coquette et drôle. Elle portait de beaux souliers chics avec de petits talons. Il y avait aussi deux filles de 2e secondaire qui n’arrêtaient pas de jacasser dans le coin et que la religieuse avertissait et finissait par séparer. Des rebelles.

Nous étions plusieurs élèves de secondaire 1. Julie est entrée dans la salle d’étude et elle a tout-de-suite attiré mon attention. Il était difficile de ne pas la remarquer parce qu’elle portait une espèce d’armature qui lui remontait jusqu’au menton. J’étais intriguée. Que lui était-il arrivé pour qu’elle doive porter cet appareil ?

Par l’intermédiaire d’une amie, j’ai enfin pu nouer connaissance avec Julie et j’ai compris pourquoi elle portait cet étrange corset : elle faisait une scoliose sévère. 

Julie est une sagittaire comme moi. Son anniversaire est quatre jours après le mien. Elle est grande comme moi. Elle adore la musique, comme moi. Sa passion est le violon. Elle en joue depuis l’âge de 2 ans. C’est pour cela qu’elle ne vient pas à la salle d’études tous les jours : elle doit aussi pratiquer son violon. Elle faisait partie de l’orchestre des Petits violons de Jean Cousineau.