La politique

 

Ne doutez jamais qu'un petit groupe d'individus conscients et engagés puisse changer le monde. C'est même de cette façon que cela s'est toujours produit.

- Margaret Mead

 

 

On m’a toujours dit qu’il y avait des sujets épineux qu’il fallait absolument éviter lors d’une rencontre entre parents et amis si on voulait éviter les dissensions : l’un d’eux est la politique. Mais puisqu’après l’éducation, la politique est l’un de mes grands intérêts, j’ai souvent enfreint cette règle.

 

Il faut dire que j’ai grandi dans une période particulièrement fertile, politiquement parlant. Je suis née pendant la révolution tranquille, j’ai été témoin de l’ascension du mouvement séparatiste au Québec, de deux référendums sur la souveraineté, d’accords constitutionnels, dont ceux ratés du Lac Meech et de Charlottetown, et j’ai voté pour la première fois l’année de la grande vague bleue Mulroney.

 

Chez nous, on parlait souvent de politique et on m’a encouragée, très jeune, à me tenir informée, à me forger une opinion et à me tenir debout. Sans être de grands militants, mes parents étaient tout de même engagés : ils se sont impliqués dans le comité de parents de mon école, dans l’administration de la paroisse, ils ont fait du bénévolat pour plusieurs organismes. Ils ont été un bel exemple pour nous.

 

Par ailleurs, j’ai eu la chance d’avoir, au secondaire, une enseignante d’histoire exemplaire, qui savait capter notre attention. Madame Nicole croyait que, s’il fallait savoir ce qui s’était passé en Nouvelle-France et sur les plaines d’Abraham, il n’en demeurait pas moins que l’histoire se construisait tous les jours. Ainsi, au début de chaque cours, elle nous invitait à commenter l’actualité et nous aidait à analyser, en toute impartialité, les ramifications et répercussions de chaque événement. Je dois préciser que c’était en 1980, en pleine année référendaire, mais nous n’avons jamais réussi à savoir de quel bord elle votait, et ce n’est certainement pas faute d’avoir essayé! J’ai eu le bonheur d’avoir à nouveau Madame Nicole comme enseignante l’année suivante pour le cours d’histoire du monde contemporain. Cette femme érudite m’a inspirée et sa manière d’enseigner m’a certainement incitée à vouloir en apprendre davantage sur le monde et ses défis politiques!

 

En 1981, j’ai été choisie par mon école pour participer au Forum pour jeunes canadiens. Je suis partie passer une semaine à Ottawa avec des adolescents de toutes les provinces afin de mieux comprendre les rouages du gouvernement. J’ai visité le parlement, la cour suprême et la galerie de la presse, j’ai côtoyé des politiciens sur la colline parlementaire, discuté avec eux, mais le clou de la semaine fut, sans contredit, l’activité de simulation d’une session de débat à la Chambre des communes. J’avais joué le rôle de ministre de l’Immigration. Ce fut un exercice très formateur : j’ai compris que débattre pour faire valoir ses convictions, c’était un défi d’un tout autre niveau.

 

Lorsque je suis allée étudier en Californie, le cours d’histoire des États-Unis était obligatoire. L’enseignant, Monsieur Best, était du genre à entrer en classe et commencer son cours par une question du genre : « oui ou non, est-ce que le gouvernement américain a eu raison de larguer des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki en 1945? » Les débats qui s’en suivaient étaient instructifs et passionnés. Cette méthode d’enseignement nous poussait à effectuer des recherches et à analyser une situation sous divers angles.

Mais mon année chez les voisins du sud m’a surtout fait prendre conscience que les points de vue peuvent varier en fonction du niveau de connaissance des gens : on ne peut apprécier à sa juste valeur ce que l’on ne connaît pas. Et on ne peut se forger une opinion sur ce qu’on ne comprend pas. La majorité de mes jeunes collègues avaient une connaissance limitée du Canada, et étaient même surpris que le français soit ma langue maternelle. J’ose croire que j’ai contribué à mieux faire comprendre notre réalité, nos traditions, et qu’aujourd’hui, des centaines de Californiens en connaissent davantage sur le Québec et s’y intéressent parce qu’ils ont connu « the French girl from Canada ».

 

À l’université, j’ai décidé, par intérêt, de faire une mineure en politique internationale. J’ai eu d’excellents professeurs, mais je n’oublierai jamais le docteur Henry Habib, en droit international. Ses cours étaient des exposés fascinants, ponctués de faits et d’exemples. J’ai ainsi constaté la complexité de notre monde et l’ampleur des enjeux qui le modelaient. Un des moments mémorables fut certainement la conférence de l’ancien diplomate canadien en Iran, Ken Taylor, que le docteur Habib avait invité en classe, celui-là même qui avait joué un rôle déterminant dans l’évasion de six otages américains en 1979.

 

Étudiante, je me suis impliquée en politique, un peu par accident. J’étais à la recherche d’un emploi à temps partiel, quand une connaissance de la famille m’a parlé d’un poste temporaire de réceptionniste de fin de semaine.  Après m’avoir communiqué des informations sommaires, elle m’a demandé de me présenter à une adresse à Montréal. Sans trop savoir dans quelle galère j’embarquais, je me suis retrouvée au quartier général d’un candidat à une course au leadership. Après une brève entrevue, j’étais embauchée. L’ironie, c’est que je n’y travaillais pas par conviction :  pour moi, c’était un boulot comme un autre! Je ne recevais que quelques appels de journalistes que je transférais au directeur de la campagne. Rien de compliqué. Toutefois, je dois admettre que je me suis laissé prendre au jeu et que j’ai adoré l’expérience! J’y ai rencontré des jeunes brillants, dynamiques et engagés, des personnes qui, aujourd’hui, occupent des postes clés dans les rouages politiques et économiques du Québec. J’ai eu des discussions intéressantes et parfois enflammées avec des gens articulés qui ne comptaient pas leurs heures. J’ai eu la chance de me rendre au Congrès à la chefferie où j’ai prêté main forte au responsable des communications. Ce furent des moments inoubliables. J’ai beaucoup appris, mais j’ai surtout compris comment on pouvait exercer une influence considérable en s’impliquant, même minimalement, dans un parti politique.

 

Si ma carrière au sein d’un parti politique fut de courte durée, je reste constamment à l’affut de l’actualité. Je surveille ce qui se passe chez nous, mais aussi partout ailleurs dans le monde et j’aime analyser les événements, essayer de comprendre les causes et les aboutissements possibles.

 

Un adage dit que quand on se compare, on se console : lorsque je constate ce qui se passe ailleurs, je me dis que j’ai bien de la chance de vivre dans un pays démocratique, où les libertés individuelles sont protégées et le droit de vote est sacré. Mais je sais que la démocratie est fragile et que les droits peuvent être révoqués. Il faut être vigilants et se battre lorsque nos acquis sont menacés.

 

Je suis possiblement naïve, mais je persiste à croire que voter, c’est essentiel. Je n’oublie jamais que des femmes se sont battues pour obtenir le droit de vote, et de ne pas voter, pour moi, ce serait insulter ces pionnières des 19e et 20e siècles qui ont manifesté, qui ont même fait de la prison, dans le but qu’on nous reconnaisse en tant que citoyennes à part entière.

Oui, voter fait une différence, que ce soit lors d’élections ou de référendum. En 2020, aux États-Unis, chaque vote a compté dans l’élection présidentielle. Et encore aux élections de mi-mandat de 2022. Même chose au Brésil. Je suspecte que les Iraniens, les Afghans, les Cubains, les Haïtiens, bien des Chinois et des Russes, nous envient notre droit de voter, notre pouvoir de signifier à nos gouvernements les valeurs que nous priorisons, et surtout la paix et la liberté dont nous jouissons.

 

Mais de déposer son bulletin dans l’urne aux quatre ans, c’est le minimum que nous devrions faire. Il y a également d’autres façons de faire entendre sa voix en tant que citoyen. On peut évidemment s’impliquer à divers degrés dans un parti politique et contribuer à l’élaboration d’un programme électoral, et à la nomination d’un chef ou d’une candidate qui défend nos valeurs. Sinon, on peut signer des pétitions, aller aux assemblées du conseil municipal, rédiger des lettres ouvertes. On peut aussi écrire à ses élus. Vous n’aimez pas comment on traite les dossiers environnementaux? Vous trouvez que les écoles ont besoin d’amour? Vous constatez qu’il y a trop de violence dans votre ville? Vous voulez qu’on s’attaque à l’inégalité sociale? Pourquoi attendre les élections pour le dire? On oublie trop souvent que nos élus sont d’abord au service de la population qu’ils représentent. Quand un député reçoit des milliers de lettres et de courriels d’électeurs mécontents, il sait que c’est dans son intérêt d’agir. D’ailleurs, dans mon quartier, il s’est créé un regroupement de résidents qui n’hésitent pas à écrire à la conseillère municipale ou à la mairesse lorsque quelque chose ne fonctionne pas. Vous devriez voir à quel point cela fait bouger les choses.

 

Enfin, il y a bien sûr l’implication sociale. Certaines personnes contribuent financièrement à un organisme qui défend une cause qui leur tient à cœur. D’autres y consacreront des heures de bénévolat. Les mouvements et manifestations – je parle de ceux qui sont pacifiques et bien organisés – attirent l’attention du public, soulèvent des débats, font avancer des causes justes et reculer des projets insensés. Pensez aux marches de Martin Luther King aux États-Unis, au mouvement Solidarité de Lech Walesa en Pologne, à la croisade environnementale de Greta Thunberg, à la marche des femmes à Washington en janvier 2017. C’est souvent dérangeant, et on peut ne pas être d’accord. Mais quand toutes les autres façons de se faire entendre ont échoué, il faut parfois utiliser les grands moyens.

 

Qu’on le veule ou non, la politique a un impact sur tous les aspects de notre vie. Et dans un contexte de globalisation, ou tout est interconnecté, il est utopique de croire que ce qui se passe à l’autre bout de la planète n’aura aucun impact sur notre quotidien. C’est pourquoi, je continue de m’informer, je vérifie les sources, j’écoute les opinions divergentes, je m’efforce de comprendre et d’analyser. Je garde l’esprit à la fois ouvert et critique.

 

Et si je dois me faire entendre, m’impliquer, me battre pour des causes qui sont importantes pour moi, je serai au rendez-vous. Car je reste persuadée que c’est ce qui fait avancer le monde.

Quand décembre revient...

Il m’arrive occasionnellement de prendre quelques instants et de chercher la solitude, histoire de faire le point, réfléchir aux projets que j’aimerais accomplir, ou simplement pour changer de perspective. Je ressens alors une envie viscérale de m’isoler, surtout lorsqu’un évènement inattendu vient bouleverser ma routine, ou si je dois prendre une décision importante. Je m’emmure de silence, je rédige des listes d’idées, je m’évade dans la nature pour prendre un bol d’air et parfois, je laisse libre cours à mes émotions. J’appelle cela mes bulles magiques. 

Et inévitablement, quand décembre revient, ce désir de m’enfermer dans un cocon douillet pendant quelques heures pour faire une petite introspection me saisit. 

Est-ce parce que je célèbre mon anniversaire en décembre ? Il est vrai que depuis que j’ai rejoint le club des cinquantenaires, les anniversaires produisent un tout autre effet sur moi. Avant, ils étaient une raison de faire la fête et je les accueillais avec l’insouciance d’une jeune fille qui a toute la vie devant elle. Maintenant, les anniversaires me frappent en plein visage avec une prise de conscience que le temps file et qu’il est précieux.

Est-ce parce que décembre est le mois où le froid et la noirceur s’installent, alors que l’hiver fait officiellement son entrée en scène? Ayant besoin davantage de lumière et de chaleur, serais-je à la recherche de réconfort et d’une certaine sérénité, puisant dans mon for intérieur pour y trouver une énergie qui me guidera et me propulsera jusqu’à la belle saison ?

Il est indéniable que décembre amène aussi son lot de frénésie et de folie. Pour les étudiants et les enseignants, c’est le temps des examens et des remises de travaux. Et avec la période des fêtes qui approche, tout le monde se trouve entrainé dans un tourbillon en crescendo : outre notre quotidien déjà assez complexe et nos agendas chargés, il faut composer avec les emplettes, les décorations de Noël, les fêtes entre collègues et amis, la préparation de petits plats spéciaux en vue du réveillon… Dans mon cas, s’ajoute à cela, les répétions et les concerts avec ma chorale. Et puis, il y a les nouvelles qui viennent jusqu’à nos oreilles et qui ne sont guère rassurantes. N’est-il pas normal que j’aie besoin de mettre ma vie sur pause, le temps de prendre une bonne inspiration et de réfléchir au sens que j’aimerais donner à ma vie?

C’est peut-être aussi que décembre est le moment de l’année où les messages de paix, les vœux chaleureux et les chants traditionnels viennent toucher notre corde sensible. C'est une période où faire un don prend tout son sens. La guignolée nous rappelle qu'il y a des gens moins nantis que nous, les pays en guerre font une trêve. C'est comme si le meilleur côté de l’humanité tentait de faire surface. 

L’autre jour, à la radio, j’ai entendu la chanson de Charlebois et pour une fois j’ai porté une attention particulière aux paroles.

«Quand décembre revient, quand la neige, neige. Ton visage me revient en rafales de rires d’étoiles»…

Les rires des étoiles… La poésie de Charlebois a été le signal que je devais prendre un moment pour revoir en songe les visages de tous ceux et celles qui ne font plus partie de mon univers : ma mère, rayonnante, s’affairant autour de la table, ma tante Lise racontant ses dernières péripéties, Bob Uphoff, mon père californien, dansant avec nous sur un air de jazz, mon beau-père Émilien qui, l’œil attendri, profitait de chaque instant avec ses petits-enfants. Pendant quelques délicieuses minutes, je me suis retrouvée, en rêve, à parler d’éducation devant un verre de vin avec Anne, Renée, Nadine et François, mes collègues et amis que le cancer a emportés trop jeunes. J’ai à nouveau entendu l’accordéon de mon grand-oncle René, j’ai humé le plum pudding flambé au cognac de ma grand-mère Herring, j’ai vu le sourire taquin de mon grand-père Georges, et je me suis remémoré les veillées chez les Bonenfant, les Latour, les Girard, les Brunette et les Poirier.

Et j’ai eu une pensée de tendresse pour tous ces gens qui sont entrés dans ma vie pendant un moment et dont j’ai perdu la trace au fil des années… Les gens avec qui j’ai étudié, avec qui j’ai travaillé, avec qui j’ai chanté. Tous ces gens que j’ai aimés et avec qui j’ai beaucoup ri. 

Quand résonne, sonne Minuit, mon cœur se souvient Des manèges de boules de neige
Tes petits grands yeux verts, Et ta bouche rouge
Faisaient tourner à l'envers Mon traîneau, mon soleil d'hiver

Ces quelques lignes de la chanson me porte à réfléchir au chemin parcouru, à la vie merveilleuse que nous avons, Chéri et moi, et à la famille que nous avons fondée. Je me sens tellement comblée. Je revois les grands yeux verts de mon Simon et la jolie bouche souriante de ma Véronique, lorsqu’ils étaient tout petits. Il me semble que c’était hier. Ces trois êtres sont mon soleil d’hiver, autour duquel tourne le manège de ma vie. 

Comme si un album photo défilait devant mes yeux, je me rappelle les moments charnières de ma vie, je vois les personnes qui me sont chères et je songe à tout ce que je veux accomplir, aux défis que je veux relever et aux quelques regrets que j’ai dû encaisser, aux leçons que j'ai apprises. Je me replie sur moi-même, je m’enrobe de nostalgie, et je me laisse porter par la musique, les odeurs et les images. Puis, je ressors de ma bulle au bout de quelques heures, ragaillardie, sereine, reconnaissante et pleine d’espoir. 

Quand décembre revient, c’est le signal qu’une année se termine, qu’il faudra bientôt tourner la page pour en commencer une nouvelle et écrire la suite de notre histoire. Et par les temps qui courent, nous avons tous certes besoin d’un peu de féérie et de lumière. Je vous souhaite de pouvoir vous créer une bulle magique, afin que vous puissiez vous immerger dans vos rêves, dans vos réflexions. Pas trop longtemps… Juste assez pour prendre votre souffle avant de poursuivre votre route avec optimisme. 

La plume et le clavier

Lors de la dernière rencontre des anciennes de mon école secondaire en 2005, plusieurs camarades de classe m’ont mentionné qu’elles étaient surprises que je ne sois pas devenue une écrivaine de renom.  On se rappelait d’Élaine, la romancière. J’ai souri en me remémorant cette époque où je noircissais des feuilles mobiles chaque soir, élaborant des histoires qui faisaient le grand bonheur de mon cercle de fidèles lectrices. 

Depuis que je sais tenir un crayon, j’aime écrire, probablement parce que j’ai toujours eu de la facilité à le faire. Je me rappelle qu’au primaire, nous avions un cahier «Canada» dédié à la composition. C’était le volet du cours de français que je préférais. Les idées ne manquaient jamais.  J’étais une enfant à l’imagination en ébullition et je savais transposer en mots les images qui défilaient dans ma tête et les émotions que je ressentais. 

À cette époque, il n’était pas question que j’achète des cartes de souhaits toutes faites pour souligner les anniversaires de mes proches. Je composais mes propres textes, qui avaient la plupart du temps un ton humoristique et que j’agrémentais de quelques dessins de mon cru. 

En quatrième année, dans le cadre d’un projet universitaire, notre enseignante avait lancé un concours. Pour participer, nous devions soumettre une histoire dont le contexte était la préhistoire. J’avais écrit les aventures de Tompebeau, le mammouth et j’avais gagné le prix. 

En secondaire I, nous devions lire un roman intitulé Feuilles de thym et fleurs d’amour dont l’auteure, Michèle Jacob, n’avait que quatorze ans. Notre enseignante de français, Muguette Beaudry, nous avait encouragées à écrire, et nous avait dit qu’elle espérait que l’une d’entre nous serait publiée un jour. J’en avais été grandement inspirée. C’est ainsi que j’ai commencé à écrire des romans. 

Je trouvais mes idées en observant les gens, ceux que je voyais dans le métro, dans la rue, dans le voisinage. J’imaginais leur vie, leurs journées. C'était comme si je les voyais s'affairer dans leur quotidien : j’essayais de deviner leur profession, de visionner leur environnement, et je leur prêtais des traits de caractère. Une histoire prenait ainsi forme. Mes personnages étaient mes héros : un champion olympique, une policière, une journaliste. 

Chaque soir, à la salle d’études, je consacrais la dernière demi-heure de la période à l’écriture. Je noircissais des feuilles mobiles et les refilais à mon amie Julie, bien souvent assise à côté de moi, qui lisait mes premières ébauches. La surveillante m’avait un jour demandé ce que j’écrivais avec tant de ferveur. Quand je lui ai répondu, un peu gênée, que j’écrivais des histoires, elle m’avait dit d’un air pincé : «Au lieu d’écrire, tu devrais lire. Ce serait plus pertinent». L’art de tuer un rêve ! Mais elle ne m’a pas découragée. De toute façon, ce que cette surveillante ne savait pas, c’est que je lisais autant, sinon davantage, que je n’écrivais. 

J’écrivais donc pratiquement tous les jours, entre cinq et dix pages. En deuxième secondaire, plusieurs autres de mes amies ont commencé à lire mes histoires. Chaque matin, elles guettaient mon arrivée dans la salle de récréation, et réclamaient la suite de mon roman. Je sortais les feuilles gribouillées de mon sac, elles s’installaient sur les bancs et se passaient les pages. La pression d’écrire était grande : si, en raison d’un surplus de devoirs ou d’une préparation à un examen, j’avais omis un soir de pondre quelques pages, j’avais droit, le lendemain, à de sérieuses récriminations de la part de mon cercle de lectrices.  Un jour, à ma grande surprise, la boîte de mouchoirs s’est mise à circuler au même rythme que les feuilles mobiles. Mes amies lisaient un passage où je faisais mourir un des personnages principaux et elles s’étaient toutes mises à pleurer.  Je me souviens des protestations qui avaient été vives, au point où j’ai dû modifier l’histoire pour le ressusciter.

Le nombre de lectrices a augmenté au fil des ans. Loin de moi l’idée de publier mes récits. Écrire n’était qu’un passe-temps pour moi, une source de divertissement. J’ai d’ailleurs éventuellement mis à la poubelle toutes mes créations de l’époque. Je n’ai gardé qu’une seule histoire, une nouvelle d’une dizaine de pages, que je trouvais particulièrement bien écrite.

En cinquième secondaire, je me suis mise à composer des poèmes. Certains étaient très réussis et je les ai d’ailleurs conservés. Puis, comme projet pour le cours de français, avec l’aide de trois de mes amies, j’ai écrit une pièce de théâtre. C’était une comédie qui s’intitulait Le miroir brisé. Pour notre évaluation, nous devions en jouer une scène devant nos camarades de classe. Le thème était la rébellion d’une adolescente gâtée, surchargée par son emploi du temps, parce que sa mère, espérant de lui donner toutes les chances de se démarquer, lui faisait suivre une panoplie de formations. Les rires avaient fusé tout au long de notre prestation. C’était bon signe. Notre enseignante nous a ensuite informées que notre pièce avait été choisie pour être montée et présentée à la fin de l’année. Nous étions si fières de voir les costumes et le décor prendre forme. La pièce a été présentée à guichet fermé pendant deux soirs. Nous étions particulièrement fébriles, car l’une de nos camarades qui jouaient dans la pièce était la fille du chroniqueur Pierre Foglia et elle nous avait mentionné qu’il serait dans la salle. Nous avions tellement peur qu’il fasse une critique acerbe de notre pièce ! Heureusement, il n’en fut rien. J’ai également fait partie de l’équipe du journal étudiant. J’écrivais des chroniques sur divers sujets relatifs à la vie étudiante. J’avais fait un tabac avec un texte humoristique sur les manières des élèves quand ils prenaient l’autobus à la fin des cours, La fièvre du « squeeze ». On m’en a longtemps parlé.

J’ai toujours continué d’écrire. J’ai composé de longues lettres pendant mon année en Californie afin que mes parents et amis puissent goûter, en lecture, à mes aventures. J’ai aussi tenu un journal pendant mes voyages afin de pouvoir me rappeler certains détails. J’ai tout perdu lors d’un déménagement et je le regrette aujourd’hui.

Certes, pendant de longues années, les travaux universitaires, les rapports et autres ouvrages de rédaction pour le travail ont pris le dessus. Les romans, les poèmes et autres créations ont été relégués à l’arrière-plan. Il y a quand même un de mes articles qui a été publié dans la Presse en 2002. Il portait sur la détermination de mes élèves à l’éducation des adultes. Je me rappelle que, naïvement, je m’étais imaginé que je pourrais prendre le temps d’écrire pendant mes congés de maternité… Quelle utopie ! Pendant ces courtes périodes de cinq mois où j’étais à la maison avec bébé, j’avais à peine le temps de prendre une douche entre deux boires, sans compter le manque de sommeil perpétuel qui tuait toute créativité… J'ai évidemment renoncé aux projets d'écriture! Mais pendant toutes mes années d’adulte, des histoires et des personnages me hantaient. Je savais qu’un jour, je me remettrais à l’écriture. 

Depuis que j’ai pris ma retraite en 2017, j’écris pratiquement tous les jours. J’ai évidemment troqué le stylo pour un clavier, quoique je note constamment des idées dans un calepin que je traîne toujours avec moi. On ne sait jamais à quel moment l'inspiration affluera! Une fois devant mon ordinateur, je rédige des récits, tirés à partir de mes souvenirs ou mes expériences. J’ai aussi des projets de romans qui avancent tranquillement. Une fois la trame bien définie, je fais des recherches, je m’imagine des lieux, et dans ma tête, je vois les traits physiques de mes personnages, leur personnalité aussi. Après avoir écrit un premier jet, je relis, je corrige, je modifie, j’enjolive chaque paragraphe, jusqu’à ce que je sois satisfaite… Ou presque ! Le processus est long, mais qu’importe, j’en savoure chaque instant. 

Je n’écris pas dans le but de devenir une auteur de grande renommée, n’en déplaise à mes anciennes camarades de classe. Si cela arrive un jour, j'en serai sûrement fière, mais je n’aspire pas à suivre les traces d'une Marie Laberge ou une J.K. Rowling. De déposer mes textes sur mon site Internet me comble amplement. Car avant tout, j’écris parce que j’ai des choses à raconter, et l’écriture est un mode d’expression qui me rend heureuse. Si, en prime, on aime mes histoires, si elles procurent quelques émotions aux lecteurs, et bien à la bonne heure !  

Dieu merci, il y a la musique!

À l’école Vaillancourt, à partir du deuxième cycle du primaire, les élèves qui le désiraient pouvaient se joindre à la chorale de l’école. Comme j’aimais la musique et le chant, je me suis, évidemment, portée volontaire. À raison d’un après-midi par semaine, mes amis chanteurs et moi allions dans le gymnase pour apprendre les chansons du répertoire proposé pendant que les autres restaient en classe.

Notre chef de chœur était Claudette Tanguay. Ses cheveux bruns mi-longs retenus par une barrette, elle menait d’une main de maître notre groupe de jeunes chanteurs. Faire partie de la chorale était un privilège et les indisciplinés n’étaient pas tolérés et se faisaient rapidement retourner en classe. Nous commencions par faire des vocalises pour réchauffer nos cordes vocales. Claudette jouait les notes au piano et nous répétions. 

Nous chantions essentiellement des chants folkloriques et des succès d’interprètes français et québécois de l’époque, comme Vigneault, Ferland, Bécaud, Michel Fugain, Roger Whittaker et bien d’autres… Nous devions mémoriser les paroles et les partitions afin de chanter sans feuille de musique lors de notre concert de fin d’année.  Un jour, Claudette nous a remis la partition d’une chanson qui semblait tirée tout droit d’une opérette. Je me rappelle encore des paroles :

«C’est le grand jour de l’astiquage, à l’auberge des Trois Laquais

Les microbes qu’on déménage, croyaient que ça ne viendrait jamais

Au fond des casseroles, oublions tous nos maux

Dansons une valse folle à l’ombre des plumeaux»

Nous n’étions pas très enthousiastes à l’idée d’apprendre cet air de valse aux paroles farfelues. Claudette a perçu notre manque de motivation. C’est pourquoi, à sa demande, la directrice de l’école, Jocelyne Cloutier, s’était présentée à la répétition suivante pour nous faire un petit discours. «Parfois, on nous fait découvrir de nouvelles choses et parce que nous les connaissons moins, elles nous semblent moins intéressantes. Mais en y mettant les efforts nécessaires pour s’y familiariser, on peut venir à les apprécier. Je vous demande d’au moins essayer d’apprendre cette chanson. Je suis persuadée que vous allez l’aimer davantage une fois que vous la maîtriserez.» Et puis, à notre grande surprise, elle avait interprété la chanson pour nous. Nous ne savions pas que notre directrice avait une aussi belle voix de soprano !  Nous étions bouche bée ! Grâce à son intervention, nous avons appris la valse sans rouspéter. 

Les concerts de la chorale de l’école Vaillancourt étaient un grand événement. Le gymnase prenait des airs de fête et nous, les chanteurs, avions des papillons dans l’estomac. Nous donnions toujours une performance en après-midi pour les élèves et le personnel de l’école. Le soir, c’était le concert pour les parents. Nous montions sur les estrades pliantes en bois, placés en ordre de grandeur, et accompagnés par Claudette au piano, nous chantions les airs que nous avions appris tout au long de l’année. 

Bien des années plus tard, lorsque je suis allée étudier en Californie, un des cours à option offerts à mon high school était le chant choral. J’ai décidé de m’y inscrire et après une brève audition, le chef de chœur, Monsieur Gemmels, m’a admise dans la section des sopranos. C’était une excellente façon pour moi de me faire de nouveaux amis, car nous étions une cinquantaine de jeunes à chanter ensemble. Monsieur Gemmels était un perfectionniste, un musicien qui écrivait lui-même certaines de nos partitions. Nous répétions tous les jours pendant 75 minutes. C’était la première fois que je chantais dans un chœur à 4 voix. Ce fut une expérience hors du commun. Nous avons donné des concerts à l’école, mais aussi dans la communauté, à Santa Barbara comme dans la région de Los Angeles. Nous avons même participé à une compétition de chant choral : le calibre des prestations des chœurs était impressionnant. Il y eut les concerts de Noël bien sûr et puis au printemps, nous avons présenté un pot-pourri de grandes chansons de comédies musicales de Broadway : costumés, nous chantions en exécutant des chorégraphies assez complexes. Mais le clou de mon expérience avec la chorale de San Marcos high school fut, sans contredit, quand nous sommes allés interpréter l’hymne national américain avant un match de baseball de la ligue nationale au Dodgers Stadium à Los Angeles. On se sent si petit lorsqu’on prend place sur le terrain et qu’on voit la foule de l’immense stade nous entourer. À quelques mètres de moi, Fernando Valenzuela, le lanceur vedette des Dodgers de l’époque, finissait de faire ses lancers de réchauffement.  J’ai entendu l’annonceur présenter notre chœur et inviter les gens à se lever pour chanter avec nous. Les sons amplifiés par l'immensité du stade, nous avons interprété le «Star spangled banner» et nous avons reçu les applaudissements de la foule. C’était grisant.

Pendant cette année là, j’ai aussi composé des chansons avec Denine, ma «sœur adoptive». J’écrivais des paroles sur la musique qu’elle inventait au piano. Nous adorions passer des heures à chanter ensemble. Certaines de nos créations étaient particulièrement réussies. Nous avons auditionné pour présenter un numéro à la revue musicale de notre école, le «Royal Blue Review», et à ma grande surprise, nous avons été sélectionnées. Nous avons donc chanté une de nos compositions en duo pendant trois soirs d’affilée devant une salle comble. Un défi de taille pour moi!

J’ai fait partie d’autres chorales par la suite, et chaque fois, ce fut une magnifique occasion de rencontrer des gens de tous âges, qui exerçaient des métiers et des professions variés, mais qui avaient en commun l’amour de la musique et du chant. J’ai eu l’occasion de chanter avec divers orchestres dont le Montreal Jazz Big Band, avec des solistes de renom, avec des regroupements de chorales. J’ai interprété différents styles de chansons dans des langues diverses. Encore aujourd’hui, je chante dans un choeur, et même quand je voyage à l’étranger, je prends les moyens pour apprendre mes partitions à distance.  En plus des deux concerts annuels que nous préparons, nous présentons une soirée spéciale cabaret aux deux ans pendant laquelle des membres de la chorale chantent en solo. Depuis les deux dernières soirées Cabaret, je fais partie de la distribution. C’est un défi supplémentaire de présenter des numéros en solo, mais quelle fierté on ressent après sa prestation !

Quand je chante, je décroche complètement, car je ne peux penser à rien d’autre. Adieu les soucis, le stress, les frustrations, les peines… C’est une activité qui demande ma pleine concentration : il faut garder une bonne posture, bien respirer, placer sa langue au bon endroit dans sa bouche, produire les bons sons sans détonner. On doit lire les partitions : une ronde, une blanche, une croche, un bémol un soupir… Crescendo, forte, pianissimo, da coda, allegro, largo, al fine… Tant d'instructions à suivre en même temps! En plus, il faut bien prononcer les paroles, mettre l’accent au bon endroit, tenir son souffle et le son. Il faut aussi écouter ses collègues, les voix des autres pupitres. Et on doit suivre le chef, sa battue et ses consignes. 

Chanter, c’est un exercice à la fois physique et intellectuel qui demande un entraînement assidu. Il faut s’investir, développer des techniques, s’entraîner, pratiquer, répéter. Mais pour moi, c’est avant tout un exutoire. J’y mets ma voix, mon souffle, mon cœur, mes émotions. Une session de chant me rend libre et heureuse. Et même si les concerts sont parfois source de stress, c’est un bon stress qui nous donne ensuite un sentiment d’accomplissement.

Évidemment, il y a eu des époques de ma vie où je n’ai pas pu pratiquer le chant choral : les obligations familiales, les études, le travail prenaient parfois trop de place. Et en 2020, il y a cette fameuse pandémie qui nous a tenu en confinement et donc loin du chant en groupe. Je vous avoue que dans ces moments, ma chorale m’a véritablement manqué. 

Heureusement, aucun équipement particulier n’est nécessaire pour chanter. L’instrument de musique est en nous. C’est pourquoi je chantonne constamment. Mes enfants vous le confirmeront : je leur en ai chanté des chansons au fil des ans! Je chante donc, ne vous déplaise. Et je dis simplement «Dieu merci, il y la musique». Je ne sais pas ce que je serais sans elle.

Thank you for the music, the songs I’m singing

Thanks for all the joy they’re bringing

Who could live without it, I ask in all honesty

What would life be ?

Without a song or a danse, what are we ? 

So I say thank you for the music

For giving it to me.

                -- Extrait d’une chanson du groupe Abba 

Avec Denine au Royal Blue Review

Avec Denine au Royal Blue Review

28 avril 2020

Aujourd’hui, je dois entreprendre mon deuil : celle que j’ai appelée «Maman» est partie pour l’au-delà, à l’âge de 76 ans. Foudroyée par un cancer du poumon, son corps envahi par des métastases, en proie à d’horribles douleurs, elle a vécu ses dernières semaines, seule, dans une chambre d’hôpital, alors que la crise du coronavirus faisait rage au Québec et dans le monde. Une bien triste fin. 

Or si je dois faire mon deuil, ce n’est pas parce que ma mère ne fera plus dorénavant partie de mon quotidien. Ce deuil, je l’ai déjà fait, car voyez-vous, il y a plus de trente ans, ma maman et moi avons coupé tous les ponts. C’est davantage parce que maintenant, c’est irréversible, il est évident qu’elle ne fera plus jamais partie de ma vie. 

Je sais, pour bien nombre de gens, je passe pour une égoïste, une «sans cœur». Je n’essaierai pas de me justifier ou de m’expliquer. C’est inutile. En fait, personne ne pourrait comprendre parce que personne d’autre n’a eu exactement la même relation que j’ai vécue avec ma mère. Pas même ma sœur, ni mon frère. 

Ma mère a été précieuse pour moi, de ma naissance jusqu’à son départ en 1986 : elle m’a donné la vie, s’est occupée de moi, m’a éduquée, m’a soignée quand j’ai été malade, elle m’a inculqué de bonnes valeurs. Elle m’a aidé dans mes études, m’a encouragée dans mes projets les plus fous, a accueilli chaleureusement mes amis, elle m’a défendue et m’a mise sur le droit chemin quand j’ai été tentée de m’égarer. Même adolescente, j’avais du plaisir à la côtoyer, à faire des activités avec elle : nous allions magasiner, à des spectacles, en voyage ensemble. Elle a été une bonne mère. 

De son enfance, je ne sais presque rien. Elle n’était pas très portée sur les confidences. Elle a grandi dans un quartier ouvrier de Montréal, elle a abandonné l’école après sa neuvième année, à l’âge de 14 ans, et elle a travaillé comme secrétaire pendant quelques années. Son père étant un anglais et sa mère, une canadienne-française, elle a été élevée dans une environnement bilingue. Elle avait une sœur aînée dont elle ne nous parlait pratiquement jamais et que j’ai vue à peine trois fois pendant ma jeunesse. Elle a rencontré mon père à l’âge de 17 ans, s’est mariée à l’âge de 20 ans et je suis née, un an plus tard. 

Ma mère était une femme forte, intelligente et impliquée. Elle ne faisait jamais les choses à moitié. Je l’ai vue évoluer et s’épanouir au fil des ans. Comme bien d’autres femmes de sa génération, elle est d’abord restée à la maison. Je me rappelle ses rages de ménage, pendant lesquelles elle lavait fenêtres, murs et plafonds, décrochait les rideaux pour les dépoussiérer, décapait et cirait ses planchers. J’ai aussi des images très précises des journées de lessive où nous devions contourner les piles de vêtements dans la cuisine, alors que la laveuse, branchée à l’évier, faisait un bruit infernal. Ensuite, ma mère sortait le linge dans un panier pour l’étendre sur la corde, dans la cour ou, l’hiver, dans la cave. C’était avant que nous ayons la laveuse automatique, la sécheuse et une salle de lavage. Elle passait un autre avant-midi à repasser des piles de chemises, de mouchoirs et de blouses tout en jasant au téléphone. Elle n’était pas une cuisinière hors pair, mais elle s’assurait toujours que nous ayons trois bons repas par jour sur la table et des estomacs bien remplis. Elle s’occupait aussi de l’entretien du terrain : chez nous, c’est elle qui tondait la pelouse, qui taillait les haies et s’occupait de la piscine. Elle nous permettait d’inviter ou d’aller chez des amis, et prenait le temps de jouer, bricoler ou regarder la télévision avec nous. Sa vie tournait autour de son rôle d’épouse et de mère.

Dans les années ’70, elle s’est mise à faire du bénévolat. D’abord à l’école que nous fréquentions : elle a fait partie du comité de parents et s’est impliquée dans l’organisation d’activités scolaires. Puis, elle s’est jointe à un regroupement de femmes lavalloises. Elle s’est mise à suivre des ateliers d’artisanat, à participer à des conférences, et son cercle d’amies s'est considérablement agrandi. Elle a fait partie de conseils d’administration et de comités organisateurs : elle est d’ailleurs la première femme à avoir été élue marguillière de notre paroisse. Elle s’est découvert des aptitudes et s’est sentie valorisée. 

Il n’y avait qu’un pas à franchir pour qu’elle intègre le marché du travail, ce qu’elle a fait en 1978. Malgré le fait qu’elle n’avait pas de diplôme, elle a réussit non seulement à décrocher rapidement un emploi, mais aussi à gravir des échelons, au fil des ans, grâce à sa rigueur, sa soif d’apprendre et son éthique du travail. 

Du moins, j’espère qu’elle a trouvé le bonheur… Car moi, je l’ai finalement retrouvé, mais sans elle. Les blessures ont été trop profondes, le lien de confiance a été rompu, et le temps a élargi le gouffre entre nous. Les rares tentatives de communication entre nous depuis ce fatidique jour de mai, ont été plutôt froides et décevantes. Alors, nous avons renoncé. C’était possiblement, pour elle comme pour moi, un mécanisme de défense qui s'est solidement ancré. 

Pourtant, tant qu’elle était en vie, une question demeurait dans le fond de mon esprit : «et si, un jour ?»

Je n’ai jamais eu de regrets. Seulement cette question, qui m’est revenue en boucle au fil des ans : «et si, un jour ?…» Ce simple «si» était précieux, car il gardait une toute petite porte entrouverte. Au fond, il est possible que j’aie toujours gardé une parcelle d’espoir. 

Aujourd’hui, je dois faire le deuil d’un espoir. Une réconciliation entre nous ne sera pas possible. Heureusement, fort heureusement, il y a les bons souvenirs. 

Rest in peace, Judy.

La crise du Coronavirus : la snowbird est revenue

Le Broadwalk de Hollywood était désert et sous haute surveillance...

Le Broadwalk de Hollywood était désert et sous haute surveillance...

Depuis trois ans, je suis une «snowbird» qui migre vers le sud chaque hiver. D’habitude, je reste en Floride jusqu’à la fin du mois d’avril, pour travailler sur mes projets d’écriture. Mais hier, je suis finalement rentrée au pays, un mois avant la date prévue… Les aéroports de Fort Lauderdale et de Montréal étaient déserts et l’avion dans lequel je suis montée était pratiquement vide. J’avais une rangée de sièges (que j’ai désinfectés au Lysol) pour moi toute seule. Je rassure la population du Québec, je suis en parfaite santé, et je resterai en isolement total pendant au moins 14 jours… Probablement même plus, même si je n’ai aucun symptôme, car avec mon teint basané, je suppose qu’on me craindra autant qu’une personne qui tousse à s’en cracher les poumons, et cela jusqu’en juin– quand les tous les québécois auront aussi un petit bronzage, ou que j’aurai perdu le mien! En attendant, je serai radioactive, persona non grata 

J’ai fait le choix de rentrer, non pas parce que je craignais pour ma sécurité ou ma santé en Floride. En fait, j’étais déjà en isolement depuis le 11 mars. Je me lavais les mains régulièrement, je suis devenue très habile des coudes pour ouvrir des portes et appuyer sur les boutons d’ascenseur et quand je prenais une marche dans le parc, j’étais pratiquement seule. Comme j’avais suffisamment de victuailles, je n’allais même pas à l’épicerie. Je profitais du soleil et de la vue sur la mer, bien installée sur mon balcon pour écrire. Les rares gens que je voyais me saluaient de loin, sereins, souriants, aimables. Oui, comme partout ailleurs, le papier de toilette s’est fait rare, mais sinon, l’atmosphère était plutôt zen. Est-ce parce que les floridiens, habitués aux situations d’urgence avec les ouragans, savent faire preuve de résilience et ont déjà des provisions, au cas où ?… Allez savoir !

J’aimerais aussi préciser que certains gouvernements locaux aux États-Unis ont fait preuve de leadership et ont pris des décisions et des mesures drastiques dès le début de cette crise. C’est le cas pour le comté de Broward, où je séjournais, qui a mis en place des restrictions en même temps que le Québec. Tous les rassemblements et spectacles ont été annulés dès le 12 mars. Les écoles ont fermé aussi rapidement. Comme au Québec, seuls les commerces essentiels restaient ouverts et leurs heures d’ouverture ont été réduites dès le début. Des périodes de couvre-feu ont été imposées. Et contrairement à ce qu’on a pu voir ailleurs, l’accès aux plages de Broward county a été strictement interdit depuis la fin de semaine du 14-15 mars : on ne pouvait même pas aller s’y promener seul sans risquer de se faire interpeler par la police. Même chose pour le fameux Broadwalk de Hollywood. Contrôler des kilomètres de plage, c’est tout un défi, mais ils ont pris les grands moyens. Évidemment, les touristes ont fui en l’espace de quelques jours. Et malgré le temps magnifique qu’il faisait ces derniers temps, je n’ai jamais vu Hollywood aussi déserte. Il y a beaucoup de personnes âgées qui vivent dans cette région, et les gens respectaient très sérieusement les consignes. Y a-t-il eu des récalcitrants qui ont fait fi des instructions? Sûrement. Comme partout ailleurs. Mais les autorités locales ont tout mis en place pour éviter que le virus se propage. L’histoire dira s’ils auront réussi…

Sur les réseaux sociaux et dans les médias, j’ai vu des commentaires et articles qui déploraient le manque de discernement et la réaction tardive des américains. Je comprends l’inquiétude que cela suscite puisqu’ils sont nos voisins, mais à leur défense, avant le 12 mars dernier, est-ce que tous les québécois étaient conscients du sérieux de la crise ? J’en doute. Sinon, ils ne seraient pas débarqués en Floride –et ailleurs– en aussi grand nombre pendant la relâche scolaire…

Il est vrai que le message du président Trump est ambigu (j’essaie de rester polie ici), et par conséquent, certains états, certaines villes et certaines personnes n’ont pas réagi adéquatement… Tout comme il y a des provinces, villes et personnes au Canada, qui ont attendu avant de prendre les grands moyens… Ne mettons donc pas tous les américains dans le même panier que Donald Trump, de la même façon que nous n’aimerions pas tous être mis dans le même panier que… Bref, je ne veux pas faire de politique, mais je crois que les différents paliers de gouvernements et leurs décideurs seront jugés sur la façon dont ils ont géré la crise, selon les bilans qui seront rapportés, une fois le pire passé. En attendant, faisons que ce nous devons faire, et servons d’exemple pour éviter la propagation du virus…

Je sais aussi que les snowbirds ont été traités de tous les noms possibles parce qu’ils ont pris la décision d’attendre un peu avant de revenir au Québec. J’ai même vu des commentaires du style «qu’ils crèvent au soleil ! S’ils restent pris là-bas et ne sont plus assurés, tant pis pour eux !» Édifiant, n’est-ce pas ? Dans les temps de crise, je suppose que le meilleur et le pire de la nature humaine se manifestent. 

Je me considère comme étant une personne intelligente et responsable, et bien que je sois très préoccupée par ce qui arrive, je refuse de céder à la panique et l’hystérie. Je me suis tenue informée, en écoutant les nouvelles locales et celles du Québec. J’ai regardé les points de presse quotidiens de Messieurs Legault et Arruda. J’ai suivi toutes les recommandations pour me protéger du virus. J’étais aussi virtuellement en communication constante avec mes proches. Compte tenu de ma situation, dont je vous épargnerai les détails, j’ai pris la décision de rester en Floride le plus longtemps possible tout en suivant de près la progression de la crise, autant là-bas qu’au Canada. Ce n’était certes pas évident, car les informations qu’on nous donnait changeaient d’heure en heure. Il y a des gens qui me traiteront d’égoïste irresponsable (ou qui le penseront) ; si ça peut les rendre heureux, qu’ils me jugent. Et si je tombe malade, ils pourront dire : «tant pis pour elle.»

Mais, n’est-il pas vrai qu’il y a à peine deux semaines, personne ne pouvait anticiper l’ampleur que prendrait cette crise ? Quand je suis arrivée en Floride, l’automne dernier, on ne savait même pas ce qu’était un coronavirus! N’étais-je pas moins à risque en restant isolée dans mon condo en Floride au lieu de me précipiter dans la cohue des «springbreakers» et croisiéristes qui paniquaient pour regagner le pays à partir de la fin de semaine des 14-15 mars ? Et puisque des mesures plus sévères sont appliquées maintenant, n’est-il pas vrai que je risque moins d’être un danger public, en suivant les consignes appropriées, que ceux qui sont rentrés au pays avant le 12 mars sans prendre aucune précaution ?

Oui, honnêtement, au risque de me faire lancer des insultes, j’avoue que je serais volontiers restée là-bas jusqu’à la fin avril, isolée, pour continuer à travailler sur mes projets d’écriture tout en profitant du soleil et du décor. Mais la crise évolue très rapidement, ce qui amène un lot d’incertitudes dont je n’avais pas besoin et, après avoir analysé la situation, quand j’ai su qu’on allait fermer la frontière et que les vols vers le nord se faisaient déjà plus rares, j’ai jugé qu’il était temps, pour moi, de sagement rentrer à la maison. À tous mes concitoyens qui sont encore en Floride, ou ailleurs dans le monde, moi, je vous souhaite de rester en santé et de pouvoir revenir au pays en toute sécurité. Ensuite, isolez-vous, comme il est recommandé de le faire. J’en profite ici pour remercier mon agente de voyage, Mary, qui est restée en contact avec moi, qui m’a donné de précieux conseils et s’est assurée que je puisse prendre un vol sans problème pour revenir, et cela, malgré qu’elle soit chez elle, sans salaire. Sur ma liste, elle et tous ses collègues agents de voyage s’ajoutent aux héros de cette crise.

Enfin, par les temps qui courent, il est facile de juger, d’écrire et de croire n’importe quoi, de pointer du doigt. Faisons plutôt notre part en suivant les consignes, restons aimables, et concentrons-nous sur les côtés positifs (oui, il y en a !) de cette situation que nous sommes tous contraints de vivre. En ce qui me concerne, la bonne nouvelle, c’est qu’avec cette période d’isolement qui risque de se prolonger, je vais probablement pouvoir finir de rédiger mon roman plus tôt que prévu… Et, avis à mes futurs lecteurs : il n’y aura pas un mot sur la pandémie dans mon histoire ! 

Un phare dans la tempête

When I find myself in times of trouble
Mother Mary comes to me
Speaking words of wisdom : 
Let it be

                -Paul McCartney

Je marchais tranquillement sur la plage alors que le soleil amorçait sa descente pour céder sa place à la pénombre. Je n’avais pas fait vingt pas, qu’une fille s’est approchée de moi.

«Excusez-moi. Me permettez-vous de marcher avec vous ?»

Étonnée, je l’ai regardée. Elle avait de longs cheveux noirs en bataille dans le vent du large, deux grands yeux bleus et un sourire incertain. Elle était jeune, au début de la vingtaine, tout au plus. Je ne la connaissais pas. Je ne l’avais jamais vue auparavant.

Elle ne me semblait pas perdue ou sous influence. Simplement tourmentée. Angoissée. Je n’avais pas peur, mais j’étais méfiante. Quand elle a vu mon hésitation, elle m’a suppliée :

«Je veux seulement ne pas être seule. Est-ce que vous pourriez me laisser vous accompagner pendant quelques minutes. S’il-vous-plaît.»

La plage appartient à tout le monde. Allais-je lui dire d’aller ailleurs ? J’ai haussé les épaules et lui ai fait signe de me suivre, quelque peu mal à l’aise. Je trouvais à la fois bizarre et triste qu’elle demande de marcher aux côtés d’une inconnue, simplement pour ne pas être seule. 

Nous avons longé le bord de l’eau, en silence, les vagues léchant nos pieds. Je la voyais réfléchir. Je l’entendais soupirer. Au bout de quelques minutes, elle me dit : «je vis une situation difficile et j’ai besoin de conseils. Pouvez-vous m’aider ?»

Je me suis m’arrêtée et je l’ai fixée, prête à protester. Dans quelle galère étais-je montée ? 

Calmement et gentiment, je lui ai répondu :

«Honnêtement, je ne crois pas. Je ne vous connais pas, je ne peux rien vous apporter.  Et je ne suis pas qualifiée non plus pour donner des conseils. J’ai accepté que vous marchiez avec moi et je peux vous écouter si ça vous fait plaisir, mais rien de plus.»

«C’est déjà beaucoup. Je ne veux rien d’autre. Je vous remercie.»

Et pendant une quinzaine de minutes, cette belle jeune fille de 25 ans m’a déballé sa vie, m’a raconté en détails la situation intenable qu’elle vivait. C’était une triste histoire d’amour, évidemment. Une qui allait probablement mal finir. Je l’ai écoutée attentivement alors qu’elle me parlait, les yeux larmoyants.  Je lui ai posé quelques questions, histoire de clarifier son récit. Et puis, subitement, elle s’est écrié : «Oh ciel ! Je viens de comprendre. En vous parlant, je m’aperçois que cet homme n’est pas pour moi. Je suis avec lui pour les mauvaises raisons. Merci, merci beaucoup. Vous m’avez tellement aidée.»

Elle m’a serré la main en me regardant avec reconnaissance et elle est partie en courant.

Dans la vie, il y a des moments de grâce, des événements qui nous font réfléchir et qui chamboulent nos perceptions et même, nos valeurs. Cette rencontre impromptue sur la plage m’a fait penser à tous ces gens qui sont seuls, isolés, qui vivent des drames et qui n’ont aucun noyau familial ou social, personne avec qui échanger. Je n’avais accordé que quelques minutes d’attention à cette jeune inconnue et j’avais l’impression de lui avoir fait beaucoup de bien.

Cela m’a rappelé la fois où, quelques semaines après mon premier accouchement, mon médecin m’avait demandé si j’avais un réseau d’entraide. Je l’avais regardée, quelque peu déstabilisée. Elle m’avait alors expliqué que, outre la fatigue et le stress qu’elles ressentaient avec l’arrivée d’un nouveau-né, bien des femmes se sentaient seules et dépassées. On blâmait en partie les hormones. Mais pour beaucoup, c’était surtout l’isolement qui était difficile à vivre. Il est vrai qu’à une autre époque, les familles étaient tissées serré. Les femmes vivaient à un coin de rue de leur mère, de leur parenté. Elles avaient leurs voisines aussi qui devenaient leurs bonnes amies. Elles avaient un véritable réseau social - non pas un virtuel - sur lequel elles pouvaient s’appuyer. C'est peut-être moins vrai aujourd'hui.

J’ai lu récemment des articles rapportant que le nombre de personnes qui éprouvent des problèmes de santé mentale est à la hausse, et que notamment, de plus en plus d’adolescents vivent du stress, des angoisses, de la détresse. Et cela me préoccupe. Des jeunes, incapables de se tourner vers qui que ce soit pour appeler à l'aide, se retrouvent isolés.  Je me suis souvent demandée pourquoi certains d’entre nous ne connaissent jamais la détresse psychologique, même en vivant de grandes épreuves, alors que d’autres ont des idées noires et ressentent un mal d’être profond ? Qu’est-ce qui les amène à n’entrevoir aucune issue, et parfois même à commettre un geste désespéré ? 

Je ne suis pas une professionnelle de la santé, ni psychologue ni psychiatre et je ne veux certainement pas banaliser, ni analyser de façon simpliste, les problèmes de santé mentale. Je sais que les causes de ces maladies ou troubles peuvent être multiples. 

Je ne peux parler par expérience non plus, puisque je n’ai jamais souffert de dépression, ni d'autres troubles. Du moins, pas encore… Toutefois, je dois reconnaître qu’il y a eu quelques occasions dans ma vie où tout aurait pu basculer. Des épisodes d’épuisement ou de fortes émotions, où je me suis sentie déprimée, au bout du rouleau, où j’avais l’impression de ne plus penser de façon rationnelle et pendant lesquels mon corps me donnait de sérieux signaux d’alarme. Qu’est-ce qui a fait que je n’ai pas sombré? Suis-je plus forte, plus positive, plus optimiste que la moyenne? Est-ce que j’ai le bonheur facile ?

Je n’ai pas d’explication scientifique. Toutefois, je crois que j’ai été assez privilégiée d’avoir un filet de sécurité, un entourage qui m’a permis, dès mon plus jeune âge, de développer mon estime de moi-même, ma capacité de rêver, ma confiance en la vie, ma fierté. Un entourage qui m’a aimée, qui m’a toujours soutenue, qui a été à l’écoute et qui m’a permis de faire des choix. J’ai toujours eu autour de moi des personnes significatives, prêtes à m’aider quand je traversais des périodes difficiles. Au moment où tout allait trop vite - emploi, exigences familiales, études, aléas du quotidien - et où la pression venait de tous les fronts, il y avait des gens qui croyaient assez en moi pour me secouer, pour me ramener sur terre, pour m’empêcher de perdre l’équilibre. Ils sont mes points de repères, mes ancrages, mes phares. Ils sont mes «Mother Mary» de la chanson Let it be.

Écouter avec empathie. Tendre la main. Aider sans juger. J’ai parfois l’impression que sur notre belle planète qui compte des milliards d’habitants, certains mots tels que «communauté», «compassion» et «partage» sont galvaudés. En cette ère où les communications devraient faciliter les rapprochements, où les technologies devraient simplifier nos tâches, où tout est facilement accessible, se pourrait-il que le «chacun pour soi» soit à l’origine de bien des maux ? Oui, tout va vite, le temps manque, mais je me demande si on n'est pas en train de courir sans réfléchir au type de course qu’on aimerait vivre.

C’est lorsque les gens s’unissent pour une cause, qu’ils donnent avec générosité et sans préjugé, qu’ils s’entraident dans l’adversité, qu’ils oublient leurs différends pour compatir, c’est dans ces occasions que je retrouve ma foi en l’humanité. À plus petite échelle, un regard, une oreille attentive, un mot d’encouragement, un sourire, une tape dans le dos, un câlin, voilà de petits gestes qui font une grande différence. Un peu de chaleur humaine n’a jamais fait pas de tord à personne. Au contraire, si nous tendions tous la main vers l’autre, sans rien attendre en retour, le monde s’en porterait tout simplement mieux.

La carte de Noël

J'ai tendance à penser que si le récit de la nativité était écrit aujourd'hui, c'est surtout du temps que les Rois mages offriraient en cadeau, et non de l'or, de la myrrhe et de l'encens. Le temps est devenu une denrée précieuse : on essaie d'en gagner, on court après, on regrette de ne pas en avoir plus, on ne le voit pas filer, on peste si on a l'impression de le perdre pour rien. Ah, ce temps où on avait tout son temps... 

Je ne suis pas souvent nostalgique. J’ai plutôt tendance à me tourner vers le futur avec confiance et optimisme. Quand je tourne une page de mon existence, c’est souvent pour de bon. Je n’oublie jamais, mais je ne regrette pas souvent.

Il y a quand même quelques exceptions. En fait, il n’est pas rare, qu’en décembre, j’aie tendance à penser au bon vieux temps, et parfois à souhaiter pouvoir reculer l’horloge. C’est peut-être dû au manque de lumière, au froid, à la musique de Noël, à l’esprit des fêtes, au fait que je vieillis, je ne sais pas trop. Je songe aux gens qui ont été importants pour moi et qui sont malheureusement sortis de ma vie. Je me rappelle des moments marquants que j’ai vécus avec eux. J’ai aussi une pensée pour les personnes que j’aime, mais qui vivent loin de moi ou que je n’ai pas la chance de voir aussi souvent que je le voudrais. Je pense à des événements de mon passé, de ma jeunesse, qui m’ont rendue particulièrement heureuse et fière. 

En décembre, comme vous tous, je transmets aux gens qui m’importent, qu’ils soient près ou loin, mes vœux pour la saison des fêtes et la nouvelle année. Mais tout comme pour mes autres formes de correspondance, j’ai de plus en plus recours aux médias électroniques pour le faire. Il est indéniable que les nouvelles technologies ont changé nos façons de faire, nos façons de penser. Et elles ont aussi changé nos attentes. Maintenant, tout doit être simple et rapide, facile d’accès, instantané. Si ça peut être personnalisé, économique, avant-gardiste et bon pour l’environnement, c’est encore mieux. Oui, la technologie, c’est une bonne chose et pour bien des raisons, je ne voudrais pas retourner en arrière. Par exemple, qui s’imagine aujourd'hui faire la file à la banque le jeudi soir pour encaisser son chèque de paie ? Je ne me vois plus trainer des liasses de billets dans mon sac à main pour payer mon épicerie. Je trouve génial de pouvoir communiquer sans problème avec mes enfants, comme s’ils étaient devant moi, alors que je suis à l’autre bout du monde. Je me suis accoutumée à lire mon journal sur tablette, à acheter des articles en ligne, à me fier aux instructions de mon GPS en auto, à recevoir et payer mes factures via l’Internet. 

Et pourtant… Pourtant, malgré les avancés technologiques, je ne peux résister, chaque année, à ma petite folie d’envoyer des cartes de Noël. Je le fais pour ceux et celles de mon entourage qui résistent aux réseaux sociaux et aux courriels ou pour les personnes qui me sont particulièrement chères et que je n’aurai pas la chance de voir durant le temps des fêtes. Ma liste de destinataires rétrécit au fil des ans, car la plupart de mes connaissances utilisent l’ordinateur, mais c’est un rituel auquel j’ai peine à renoncer. Je prends le temps de bien choisir mes cartes, afin qu’elles soient jolies et porteuses d’un beau message. Je m’assois devant le feu de foyer avec des chants de Noël en sourdine et je me donne la peine d’écrire un message personnalisé dans chaque carte. Quand elle est destinée à une personne avec qui je n’échange pas souvent des nouvelles, j’écris un texte un peu plus long et la carte de Noël devient ainsi une façon de renouer de vieilles amitiés. Je mets les enveloppes timbrées à la poste avec le sentiment heureux d’avoir fait quelque chose d’important, comme le Petit prince de St-Exupéry qui se dit que c’est le temps qu’on dédie à sa rose qui fait que sa rose est importante.

Je reçois moi-même des cartes de vœux chaque année. De moins en moins, mais quand même. J’aime ce moment où j’ouvre ma boîte aux lettres et que, parmi les nombreuses publicités, je trouve une belle enveloppe qui m’est adressée. Après les avoirs lues et admirées, je place les cartes de Noël sur mon piano et elles deviennent un élément de décoration dans mon salon pendant tout le mois de décembre et jusqu’après les fêtes. 

Tiens, elle est là ma nostalgie. La correspondance papier ne fait pratiquement plus partie de ma vie. La poste ne sert qu’à garnir notre boîte de feuillets publicitaires, et à l'occasion, de communications gouvernementales. Même les factures me parviennent par Internet. Avant, on recevait des communications importantes par la poste : des invitations à un mariage ou à une fête, des documents officiels, des nouvelles de personnes qui vivaient loin de nous. Je me rappelle du temps où j’attendais avec impatience l’arrivée du facteur qui me livrait des missives de mes amis comme si c’était des trésors. Je pense au temps que j’ai passé à rédiger des lettres avec des mots bien choisis pour donner de mes nouvelles. Celles de plus de vingt pages que j’ai envoyées aux deux semaines à mes parents alors que j’étudiais en Californie, leur décrivant l’expérience extraordinaire que je vivais, auraient été dignes d’être publiées. Aujourd’hui, avec un clic et deux-trois touches de clavier, on envoie un court message avec photos à tout le monde d’un seul coup, et quelques secondes plus tard, le message est lu et la réponse arrive aussitôt dans notre boîte de réception. Tout le monde est informé. Instantané. Rapide. Efficace. On sauve du temps. Et on sauve des arbres en plus ! 

Alors en femme de mon temps, j’envoie de plus en plus des messages électroniques. J’ai beau être devant le foyer et écouter des chants de Noël en même temps, la magie n’est pas tout à fait la même. Mais je tiens à vous dire que, même si je ne vous ai pas posté une carte de Noël cette année, vous êtes importants pour moi. Et je vous ai dédié un peu de mon temps, en écrivant ce texte.

Joyeux Noël, mes belles roses! Et quand je songe à ce qui s'est passé dans les douze derniers mois, je vous souhaite d'abord et surtout la santé, puis la sérénité, la joie de vivre et la paix dans votre foyer et dans le monde. Mais surtout, je vous souhaite de passer du temps de qualité avec ceux que vous aimez.

Que vois-tu à l'horizon?

Il y a des gens qui sont d’excellents collègues de travail, mais avec qui nous n'avons aucune envie de développer des amitiés au-delà du contexte du boulot. D’autre part, nous avons tous des amis que nous adorons, mais avec qui nous ne pourrions jamais travailler. Et il y a ces rares personnes avec qui nous travaillons très bien et qui deviennent des amis importants dans notre vie.

Lorsque j’ai commencé à enseigner dans le réseau des commissions scolaires, j’ai eu quelques difficultés, au début, à m’adapter. Ma spécialité était la bureautique. Je montrais aux gens à utiliser les logiciels d’application les plus populaires. J’avais été formatrice en entreprise pendant plus de sept ans et j’étais habituée de m’adresser à des travailleurs expérimentés, des gens hautement motivés qui mettaient en application ce qu’ils avaient appris dès qu’ils revenaient au bureau. 

À la commission scolaire, quand on m’a annoncé que le cours de Word de base durait 60 heures, j'ai sursauté. En entreprise, j’avais dix fois moins de temps pour montrer autant de notions. J’ai donc dû rapidement revoir mes plans de leçons, élaborer nombre d’exercices de révision, préparer des ateliers pratiques pour «combler» les soixante heures de cours. Il y avait aussi ces notions de «gestion de classe» et «d’évaluation» qui m’étaient inconnues et avec lesquelles je devais me familiariser. C’était sans oublier le vocabulaire et les fameux acronymes  du milieu que je devais apprendre à déchiffrer.

Heureusement, j’ai eu une collègue extraordinaire pour m’accueillir et m’accompagner dans ce nouveau chapitre de ma vie professionnelle. Elle s’appelait Anne.

Anne était de neuf ans mon aînée. Son accent et ses expressions langagières trahissaient son origine : le Saguenay. Elle avait des traits du visage qui faisaient un peu penser au comédien Michel Barrette, portait de petites lunettes qui lui donnaient un air sérieux, voire sévère, et avait une épaisse tignasse qu’elle arrivait difficilement à dompter. Alors qu’elle disait être plus à l’aise en jeans et chemise à carreaux, la coquette portait de jolis ensembles et ses ongles étaient toujours parfaitement manucurés.

Dès les premiers jours, Anne m’a patiemment expliqué tous les aspects de mon nouveau travail : les suivis-matières, les horaires, les plans de cours, les évaluations d’aide à l’apprentissage. Elle m’a généreusement offert d’utiliser son matériel, ses exercices et ateliers. Sa voix grave, presque radiophonique, avait quelque chose de rassurant. Elle était patiente, mais exigeante, envers elle-même, et envers les autres. Mais ce que j’ai appris à apprécier d’Anne, plus que tout, c’était son intégrité, sa transparence et sa rigueur.

Au fil des mois, nous avons appris à nous connaître davantage. Au travail, j'ai moi-aussi développé du matériel didactique, que j’ai partagé avec Anne. Nous revoyions nos plans de cours ensemble. Elle m’a encouragée à retourner à l’université pour obtenir mon brevet d’enseignement.

Sur le plan personnel, nous sommes aussi devenues proches.  Nous avons commencé à nous échanger des confidences. Anne avait un conjoint, qu’elle trouvait beau et intelligent, et elle disait souvent : « je ne comprends pas pourquoi il est avec moi. Je ne suis même pas belle ! »

Elle savait que j’avais un fils et m’a confié qu’elle m’enviait, qu’elle avait longtemps espéré devenir mère, mais que la nature en avait décidé autrement. Quand je suis devenue enceinte de ma fille, Anne a été parmi les premières à apprendre la nouvelle et elle était si contente pour moi.

Ce qui faisait sa plus grande fierté, c’était sa maison, à Montréal. Pour la première fois de sa vie, elle était propriétaire… Copropriétaire, en fait. Elle m’en parlait tous les jours, me décrivait sa maison, me racontait des anecdotes à son sujet, et lorsqu’elle me téléphonait de chez-elle, elle prenait toujours la peine de me dire dans quelle pièce elle se trouvait : dans son bureau, sur son balcon, dans la cuisine en train de se préparer un plat…

La fusion des commissions scolaires en 1998 a fait en sorte qu’Anne et moi avons dû, toutes deux, changer d’emploi. Même si nous n’enseignions plus ensemble, nous avons toujours gardé contact. Nous nous téléphonions régulièrement pour échanger et c’est à cette époque que nous avons commencé cette belle habitude de nous voir minimalement deux fois par année hors du travail: en décembre, juste avant le temps des fêtes, pour souligner mon anniversaire, puis en juillet, alors que les vacances d’été commençaient, pour souligner son anniversaire de naissance. Nous allions manger une bonne bouffe dans un restaurant et en profitions pour régler tous les problèmes du monde de l’éducation autour d’une bouteille de vin.

En 2001, Anne a rompu avec son conjoint. Ce fut une époque très difficile pour elle. Sans me donner tous les détails, elle m’a raconté suffisamment de bribes de son histoire pour que je comprenne qu’elle mettait fin à une relation malsaine. Si elle ne pouvait sauver son couple, il y a une chose qu’elle refusait de perdre : elle a racheté la part du conjoint pour garder sa maison. Ce fut une source de stress énorme pour elle, d’autant plus qu’elle n’avait que des postes temporaires en enseignement. Mais la chance lui sourit enfin en 2003 : elle obtint un poste régulier. Professionnellement et financièrement, elle allait enfin trouver la stabilité.

Tout semblait s’aligner pour le mieux. Pourtant, en décembre 2005, lors d’un de nos fameux soupers, Anne s’est subitement mise à pleurer. «Je vis des choses très difficiles au travail.»  Je suis restée bouche bée. Anne ne pleurait jamais et encore moins en public. J’eue beau la questionner, elle ne voulut m’en partager davantage. Je lui ai alors dit : «peu importe ce que tu vis, il y a surement des personnes ressources à ta commission scolaire qui peuvent t’aider, si ce n’est ta direction. » Elle hésitait encore. «Non, j’ai fait des démarches, ça ne donne rien.» me dit-elle.

«Anne, je ne sais pas de quoi il en retourne, mais je sais que tu n’es pas le style à te plaindre pour rien. Si la situation est à ce point insoutenable et que tu ne vois pas d’issue possible, il faut que tu songes à t’en aller. Tu ne peux pas passer 35-40 heures au travail chaque semaine à être misérable. »

-«C’est facile pour toi de dire cela,» rétorqua-t-elle.  «Tu as un conjoint qui peut t’épauler financièrement. Moi, je suis toute seule. Si je démissionne, comment vais-je payer mon hypothèque ? Je ne veux pas perdre ma maison. J’ai cinquante ans et un an, je suis tannée de toujours devoir recommencer. Ma maison, c’est tout ce qu’il me reste.»

Je comprenais son point de vue, mais je n’aimais pas la voir ainsi angoissée. «Anne, tu es une femme intelligente, travaillante. Tu connais les logiciels de bureautique les plus populaires, tu te présentes bien, tu as fais de études universitaires et tu as de l’expérience. C’est certain que tu vas te trouver un autre emploi. Peut-être que ce ne sera pas en enseignement, mais je suis persuadée que tu vas pouvoir gagner suffisamment d’argent pour garder ta maison, en attendant l’emploi de tes rêves. Et puis, si tu veux, je fais appel à mon réseau pour t'aider à te trouver un poste en éducation.»

Notre souper s’est terminé sur une triste note et je voyais bien qu’Anne n’était pas rassurée, mais mes paroles ont quand même eu un certain impact. Quelques semaines plus tard, soit la première semaine de janvier 2006, Anne m’appela.  Elle m’a enfin raconté la source de ses malheurs. Elle était victime de harcèlement sexuel au travail… Victime d’une autre femme. Elle en avait parlé à sa direction, au service des ressources humaines, au syndicat, rien ne bougeait. «On dirait qu’on ne me croit pas.»  Elle a confronté son agresseure, lui a demandé d’arrêter. Celle-ci, au contraire, devenait de plus en plus entreprenante, mais s’assurait toujours qu’il n’y ait pas de témoin dans les parages avant d’agir. Anne essayait de l’éviter, mais c’était devenu insupportable pour elle.  Elle a baissé les bras.

«J’ai pris ma décision. J’ai annoncé à ma direction que je terminerais l’année scolaire, mais que je démissionnais. Je termine le 30 juin prochain. Si tu entends parler d’un poste dans une commission scolaire ou dans un établissement de formation, pense à moi. En attendant, je révise mon curriculum vitae et je mets le plus d’argent de côté possible, pour essayer de sauver ma maison.»

Elle semblait optimiste, soulagée, presqu’heureuse. Je lui ai promis de tout faire pour l'aider à se trouver un emploi pour l’année scolaire suivante.

Mais la vie nous joue parfois de malins tours. Le 23 mars en début de soirée, je reçus à nouveau un appel d’Anne. Après les salutations d’usage, d’une voix bizarre, elle m’a annoncé qu’elle n’allait pas bien.  «Oh non ! Ne me dis pas que cette folle te fait encore des misères», m’exclamai-je.

Ce n’était pas cela.

«Élaine, je suis à l’hôpital. J’ai été admise hier.»

Anne m'a raconté qu'elle avait commencé à souffrir d’un horrible mal de dos quelques semaines auparavant. Ces derniers jours, le mal était si intense elle avait eu peine à marcher. Elle avait donc décidé de consulter son médecin qui l’avait envoyée subir des tests à l’hôpital. Le diagnostic était tombé quelques heures plus tôt : cancer du poumon.

«Bon, ai-je dit courageusement. Et que vont-ils faire maintenant ? Des traitements de chimio, de la radiothérapie, une opération ?»

Ce qu’elle m’a dit par la suite m’a assommée. Je me rappelle être littéralement tombée assise sur une chaise de cuisine, la gorge nouée, en état de choc. Elle avait des métastases à la colonne vertébrale, son cancer était à un stade avancé, il n’y avait absolument rien à faire. On lui donnait trois à quatre semaines, pas plus. Elle n’allait jamais ressortir vivante de cet hôpital. Elle voulait me voir, mais pas avant d’avoir eu le temps de régler des choses urgentes, comme son testament. Elle m’a dit : «Maudite vie ! On oublie trop souvent l’essentiel ! Tu le sais, ces dernières années, je me suis battue pour sauver ma maison. J'ai sauvé des briques, du ciment sur une charpente de bois. Vois ce que ça m’a donné : c’est ma maison qui va me survivre et je suis obligée de la donner en héritage! »

Le 17 avril, Anne  m’a appelée et a demandé à me voir. «C'est le moment de faire nos adieux, ma chère. À partir de demain, je serai de moins en moins consciente, car je vais prendre toutes les drogues qu'on voudra bien m'administrer.» Dans son lit d’hôpital, elle n’était que l’ombre d’elle-même.  Elle souffrait énormément, mais avait refusé de prendre ses doses de morphine. Elle voulait rester lucide le plus longtemps possible. Moi, j'étais dans un état second, comme dans une bulle qui me tenait à l'écart de la réalité. J’ai passé deux heures avec elle. Nous avons échangé des souvenirs, nous avons ri, avons pleuré, nous nous sommes fait des confidences. Je ne n'oublierai jamais ce qu’Anne m’a dit ce jour-là. Ce sont les paroles sincères d’une précieuse amie, un doux secret, presqu’un poème, que je garderai toujours en mémoire.

Je suis repartie le cœur gros, sachant que je ne la reverrais jamais. En sortant de l’hôpital, l’air printanier m’a narguée : le temps magnifique n’était certes pas le reflet de mon humeur. Dans mes bras, j’avais un pot de jonquilles qu’Anne m’avait donné avant que je ne sorte de sa chambre. «Tu trouveras un coin spécial dans ton jardin, et tu planteras les bulbes. Ainsi, quand les jonquilles fleuriront chaque printemps, tu penseras à moi.»

Elle est partie le 30 avril 2006. Encore aujourd’hui, elle me manque cruellement. Combien de fois, aurais-je aimé prendre le téléphone pour lui raconter ce qui m’arrive, pour lui demander conseil, pour entendre sa voix grave et son rire magnifique. Chaque fois que j’ai eu des décisions importantes à prendre au niveau professionnel au cours des dernières années, je pensais à elle et je demandais intérieurement :
« Et toi, ma chère Anne, que vois-tu à l’horizon ? Que me dirais-tu de faire ?» Invariablement, je me rappelais sa phrase : on oublie trop souvent l’essentiel.

Qu’est-ce que l’essentiel ? Anne m’a appris que c’est faire attention à sa santé physique et mentale, c’est cultiver l’amour et l’amitié, c’est faire preuve de compassion et de générosité, respecter les autres, mais en se respectant soi-même d’abord. C’est de bien faire les choses, mais pour les bonnes raisons. C’est accepter que rien ni personne n’est parfait et qu’il faut parfois couper les ponts avec sérénité quand une situation ou une relation devient malsaine. C’est s’émerveiller devant les petits miracles et remercier la vie et les gens pour chaque instant de bonheur qu’ils nous apportent.

 Et pour moi, l’essentiel, c’est aussi d’aller voir dans ma cour, chaque printemps, si les jonquilles d’Anne vont encore une fois se pointer.

Puis, en mai 1986, elle est partie travailler un bon matin et a claqué la porte de la maison familiale pour de bon. Personne ne s’était aperçu qu’une petite flamme s’était progressivement éteinte en elle. Nous avons reçu la nouvelle comme une bombe nucléaire. Cela m’a pris des années pour l’accepter, des décennies pour comprendre et enfin pardonner. Elle n’était plus heureuse, elle avait besoin de passer à une autre étape de sa vie. Et le bonheur, c’est avec un autre qu’elle allait le trouver.